Nucléaire et Frexit : la France a dix ans pour redevenir la première économie d’Europe
Internationalement, le nucléaire a de nouveau le vent en poupe
La France devrait en profiter, au moment où l’économie allemande s’enfonce dans la crise, du fait de ses mauvais choix de politique énergétique. Le gouvernement français essaie de s’adapter à la nouvelle donne. Mais il n’arrivera à rien sans une remise en cause profonde de son environnement. On peut même penser que l’époque de la négociation amiable avec les partenaires européens est terminée.
Le marché de l’énergie pourrait bien être le début du Frexit
Le jeu en vaut la chandelle : au bout de la route, il y a la réindustrialisation de la France et le fait de redevenir la première économie d’Europe.
Une des retombées de la guerre d’Ukraine, c’est le retour en vogue de l’énergie nucléaire. Dernier exemple en date, la une du Figaro ce 28 septembre, consacrée aux soutiens que la France retrouve sur le sujet :
Après l’Europe, l’OCDE. Agnès Pannier Runacher, la ministre de la transition énergétique continue de battre le rappel des pays ayant choisi de relancer la construction de centrales électriques nucléaires. Ces 28 et 29 septembre, l’OCDE réunissait, sous la présidence de la France, vingt ministres et une trentaine de grands dirigeants d’entreprises, tous acteurs du nucléaire. «Nous voulons dégager un consensus mondial, comme l’ont fait les travaux du GIEC, sur le nucléaire. C’est un atout majeur pour la sécurité énergétique et répondre aux enjeux climatiques», appelle la ministre française.
Le Figaro, 28.9.2023none
Le problème, c’est l’Union Européenne
Cependant, on est quelque peu sceptique quand on lit dans le même article, que Thierry Breton est à la manœuvre :
«Le nucléaire est une énergie décarbonée et abondante, renchérit le commissaire européen aux affaires intérieures Thierry Breton. L’objectif est de disposer de 150 GW de capacités nucléaires installées en Europe d’ici 2050». Tous s’accordent en outre à dire qu’il faut profiter d’un alignement des planètes en faveur du nucléaire. Le basculement des mentalités en sa faveur a eu lieu dans de nombreux pays. Des décisions politiques ont été prises. Ils ne manquent que les financements publics pour parfaire le tableau.
Le Figaro, 28.9.2023none
L’Union Européenne, avec le pays qui y joue le rôle moteur qu'est l’Allemagne sont en effet à l’origine de notre abandon partiel de l’énergie nucléaire. Pas besoin de rappeler combien l’Allemagne a largement créé la crise européenne actuelle, en sortant idéologiquement du nucléaire en 2011 et en se révélant incapable, en 2022, de défendre face aux Américains, son choix du gaz russe.
Quant à l’Union Européenne, faut-il rappeler ce que Madame von der Leyen déclarait en mars dernier, propos sur lesquels nous étions longuement revenus dans le Courrier des Stratèges :
Le règlement de l’UE sur l’industrie verte (NZIA) vise à garantir que puisse être produit sur le sol des États membres de l’UE au moins 40 % des technologies qu’elle juge « stratégiques » pour atteindre son objectif de zéro émission nette d’ici 2050.
Or, Ursula von der Leyen est formelle – elle l’a répété fin mars 2023 – le nucléaire n’est pas une industrie stratégique :
« Le nucléaire peut jouer un rôle dans notre effort de décarbonation, c’est important », a déclaré Mme von der Leyen à l’issue de la première journée du sommet européen de Bruxelles ces 23 et 24 mars, au cours duquel les dirigeants ont discuté de la réponse de l’UE aux subventions vertes américaines. « Dans notre règlement pour une industrie “zéro net” [Net-Zero Industry Act], un large éventail de technologies propres — y compris le nucléaire de pointe — ont accès à des règles simplifiées et à des incitations », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse jeudi soir (23 mars). « Mais seules les technologies à zéro émission que nous jugeons stratégiques pour l’avenir — comme les panneaux solaires, les batteries et les électrolyseurs, par exemple — ont accès à l’ensemble des avantages et des bénéfices », a-t-elle ajouté ».
Le Courrier des Stratèges, 13 juin 2023none
Eric Verhaeghe l’expliquait le 19 juin dernier :
On relèvera néanmoins cette recommandation ferme, qui en dit long sur la stratégie économique de la Commission :
RECOMMANDE que la France s'attache, en 2023 et 2024
1_ à éliminer progressivement d'ici la fin de 2023 les mesures de soutien en vigueur relatives à l'énergie, en utilisant les économies correspondantes pour réduire le déficit public ; dans le cas où de nouvelles hausses des prix de l'énergie nécessiteraient des mesures de soutien, à veiller à ce que celles-ci ciblent la protection des ménages et des entreprises vulnérables, soient financièrement abordables, et préservent les incitations à économiser l'énergie ;
C’est dit clairement : les aides à l’énergie, faut arrêter ! et s’il fallait vraiment les recommencer, il faut les limiter, quoiqu’il arrive, à ceux qui en ont vraiment besoin.
Bien entendu la Commission ne dit pas un mot sur les origines réelles de la crise énergétique ni de la fluctuation des prix. Pas un mot sur le suivisme européen aveugle vis-à-vis des États-Unis qui a conduit à bannir le gaz russe et a fait monter les cours de l’électricité du fait du marché unique de l’énergie…
Libérer l’énergie française pour retrouver le leadership économique en Europe
Il n’y aura pas de demi-mesure possible. La politique de l’actuel gouvernement français consiste à parier sur le retour en grâce du nucléaire pour quitter le troupeau des moutons verts et rejoindre un autre troupeau dont on espère qu’il grossira.
Mais ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre
Les gouvernements français successifs se font balader sur le marché de l’électricité parce qu’ils ont abandonné toute ambition en matière de nucléaire civil. L’énergie nucléaire, c’est un produit des Trente Glorieuses, une floraison de la science et de l’ingénierie françaises. Un savoir-faire et un atout compétitif pour le pays.
Or nous l’avons abandonné, suite au travail de sape de notre partenaire allemand, chez qui les Verts ont construit leur influence sur le refus du nucléaire. Il y a eu ensuite la montée en puissance des écologistes français.
Nos dirigeants sont devenus vulnérables à la propagande de l’écologisme punitif, avec son obsession magique de l’énergie “décarbonée”. Et la haute fonction publique française a sauté sur l’aubaine: les énergies décarbonées non nucléaires ne sont pas viables économiquement et sont donc un lieu de multiplication des subventions publiques et un prétexte à développement de la bureaucratie. De ce point de vue, la bureaucratie centrale française s’aligne plus naturellement avec la bureaucratie bruxelloise qu’avec le Commissariat à l’Énergie Atomique et les entreprises françaises.
Le Courrier des Stratèges 13 juin 2023none
Au vu de la lenteur de la prise de conscience européenne sur le sujet et vu le caractère velléitaire d’Emmanuel Macron, il faut sans doute formuler les choses plus radicalement, avec plus d’ambition.
Aller jusqu'au Frexit pour la bataille de l'énergie
Il est non seulement évident que sujet de l’énergie nucléaire est le meilleur pour lancer une négociation dure avec nos partenaires, en étant prêt à aller jusqu’au Frexit. Mais la France n’a pas le droit de laisser passer l’occasion historique que lui procure le déclin programmé de l’économie allemande. Ainsi pouvait-on lire sur Challenges en juillet dernier, sous la plume de ¨Patrick Artus :
Tout d’abord, l’Allemagne est frappée par un fort déclin démographique que les vagues migratoires n’ont pas permis d’enrayer. La population en âge de travailler baisse de 1% par an. Cela pèse sur la demande intérieure en biens de consommation ou en logement, sur la productivité, et donc in fine sur la croissance. Ensuite, il y a le coût faramineux de la transition écologique, qui pourrait atteindre 200 milliards d’euros par an, deux fois plus qu’en France. Un Allemand émet en moyenne 7,5 tonnes de CO2 par an, contre 4 tonnes pour un Français. Pourquoi un tel écart? La première raison est la taille de l’industrie allemande émettrice de CO2, notamment dans les secteurs du ciment, de l’acier, de l’aluminium, qui représentent 10% du PIB contre 3% en France. La seconde est la structure de l’approvisionnement énergétique. L’Allemagne a remplacé le nucléaire par du gaz russe et du charbon, qui pèse 40% de l’électricité consommée. Enfin, le pays souffre d’un déficit de productivité du travail, qui est revenue à son niveau de 2007. Sous Angela Merkel, l’Allemagne a laissé filer les salaires et a mangé son avantage de compétitivité coût, obtenu grâce aux réformes de Gerhard Schröder. Le coût unitaire de production dans l’industrie y est 18% plus élevé qu’en France.
Challenges, 14 juillet 2023none
Dépasser l'Allemagne déclinante et vite
Mais il ne faut pas se contenter de s’interroger doctement; comme l’économiste français sur la possibilité de rattraper l’Allemagne! Il s’agit de la dépasser. Pour cela, il faudra profiter d’une énergie nucléaire moins chère que les approvisionnements énergétiques de nos voisins – tout en imposant qu’elle soit rémunérée selon la loi de l’offre et de la demande, et non selon un calcul bureaucratique européen.
Et puis il faudra être en mesure d’investir massivement dans les infrastructures et la formation des personnels. Il faudra aussi se donner les moyens d’une immigration choisie de compétences en recherche, en technologie et en maintenance. Et là pas question de nous faire dicter notre budget d’investissement – ce qui ne dispensera pas, bien au contraire de réduire d’autres budgets(de fonctionnement) de l’État.
En un mot plutôt qu’en cent: au bout de la route, il y a le Frexit. Et une France qui retrouve la première place! Tentant, non?