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Le Blog de jlduret

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Pensez juste ou pensez faux mais pensez par vous-même ! Depuis Socrate, le devoir du penseur n’est pas de répéter la doxa du moment mais de la questionner. Sans cette liberté d’exprimer opinions et pensées, point de démocratie.


La science contre les croyances.

Publié par jlduret sur 18 Décembre 2019, 10:34am

Catégories : #Sciences

La science contre les croyances.
Virginie Tournay (*) : "Le religieux ne doit pas avoir un statut équivalent au savoir scientifique"
 

Marianne : En quoi la défense de la culture scientifique est-elle un combat laïque ?

Virginie Tournay : C'est un combat qui se manifeste à trois niveaux. Tout d'abord, sur le plan épistémologique, le travail scientifique s'inscrit par définition dans l'esprit critique, donc dans la tradition du raisonnement expérimental. Cela suppose qu'il ne repose sur aucune croyance, ni ne relève d'aucune entité supérieure ou divine. Le travail scientifique prétend à une forme d'universalité : les savoirs produits par les chercheurs et institutions scientifiques ne dépendent pas de l'interprétation qu'en donnent les communautés.

Ensuite, sur un plan institutionnel, nos écoles doivent être en mesure de garantir la sortie politique du religieux. Le religieux relève des consciences individuelles de chacun, mais ce n'est pas un principe d'organisation de la société. Le problème, qu'on voit beaucoup en Amérique du Nord est que l'humanisme est sans cesse remis en cause. Pensons à la structuration progressive des mouvements platistes, ou à la puissance des créationnistes. On doit s'assurer que le religieux n'a pas un statut équivalent au savoir scientifique.

Il y a toujours eu dans les sociétés industrialisées des mouvements anti-science

Enfin, le rejet de la science par des populations radicalisées ne veut pas dire que ces populations n'ont pas de maîtrise de l'outil technique. C'est très compliqué à comprendre pour nous, mais le progrès technologique est utilisé pour propager des idéologies radicalisées qui remettent en cause les savoirs scientifiques. Ces formes de disjonctions cognitives viennent de populations qui ont parfois des maîtrises de l'outil numériques bien supérieures à celle des académiciens, des scientifiques...

Pendant longtemps, on a cru que la médiation scientifique se réduisait à la vulgarisation : il faudrait expliquer la science aux citoyens qui ne la comprennent pas. Mais ce modèle ne marche pas. Dans notre société, il y a des croyances et valeurs qui sont imbriquées, intégrées, contradictoires. La médiation scientifique suppose de faire le diagnostic des types de publics auxquels on s'adresse. Or les scientifiques n'ont pas compris que pour faire de la bonne médiation scientifique, il faut être en mesure de prendre en compte les valeurs et les cultures des différents publics. En réalité, on ne peut pas se passer d'une analyse scientifique de la vie sociale et politique pour pouvoir communiquer efficacement sur les faits scientifiques. Les sciences sociales doivent fournir ces éléments d'analyse objective.

Peut-on dater la remise en cause de la rationalité, en France ?

Il y a toujours eu dans les sociétés industrialisées des mouvements anti-science : les charlatans, le rejet des vaccins ne sont pas foncièrement nouveaux idéologiquement. Mais il y a une transformation permise par la dérégulation du marché de l'information avec Internet, et notamment ces dix dernières années avec l'émergence des réseaux sociaux. Nous ne sommes plus face à une guerre d'arguments scientifiques, mais à une guerre politique d'opinions, car Internet favorise la tyrannie des minorités.

Le problème n'est pas un déficit de culture scientifique ou de rapport à la science. C'est un problème de proximité : la défiance vient du fait que les citoyens n'ont pas le sentiment d'être proches des institutions qui produisent de la science, mais se sentent plus proches d'associations environnementales comme Greenpeace, d'élus locaux...

La critique de la raison est très touffue : entre les complotistes, les religieux, une frange radicale de l'écologie, il n'y a pas forcément de liens...

Non, mais ces tendances se caractérisent par une forme d'effacement entre l'espace privé et l'espace d'expression publique du citoyen. Le problème, c'est la médiation. Il y a une transformation des fondements mêmes de ce qui relie les hommes entre eux, par la simple et bonne raison que ce qui permet aujourd'hui aux gens d'établir des liens, ce sont les réseaux sociaux. Autre aspect peu évoqué, la désynchronisation des temporalités : dans les années 1980, onavait des émissions qui réunissaient tous les Français dans une forme de communion devant leur téléviseur. Aujourd'hui, l'individualisation des médium engendre la disparition des rencontres médiatiques collectives. Les arènes de débat partagé, qui permettaient l'expression de contre-pouvoirs, ont laissé place à des bulles où chacun peut s'enfermer. Je prends un simple exemple : quand on voit une eurodéputée écologiste tenir certains propos sur les vaccins (Michèle Rivasi, ndlr),on se dit qu'à Sept sur Sept dans les années 1980, l'avis de l'Académie des sciences aurait été demandé et exposé au public.

Les scientifiques n'arrivent pas à communiquer, les informations sont reprises, déformées

La critique de la rationalité ne touche pas que les citoyens lambdas. A l'université, dans les médias, elle est aussi présente.

Dans beaucoup d'institutions, y compris celles qui défendaient des valeurs républicaines, on assiste à une forme de retournement. La Ligue de l'enseignement, la Ligue des Droits de l'homme tentent de mettre en place une forme de laïcité adjectivée - inclusive, ouverte, accommodante... Cela résulte d'une culture d'entrisme. A partir du moment où les minorités exercent une tyrannie, on ne peut pas défendre l'exercice de l'esprit critique et de la démarche scientifique sans un commun républicain. Le combat à coups d'argument, c'est terminé. On s'affronte entre communautés, et les scientifiques n'ont pas vu que les règles du jeu avaient changé.

Y a-t-il un problème de traitement de l'information scientifique dans les médias ?

Oui, on l'a vécu avec la publication de notre tribune, qui avait été retenue par Libération et Le Monde avant d'être rejetée. Nous faisions le constat d'un déclin de l'autorité sociale et culturelle des institutions scientifiques. Les scientifiques n'arrivent pas à communiquer, les informations sont reprises, déformées. Comment penser un tiers de confiance dans ce cadre ? Nous avons posé cette question dans notre tribune, ce qui n'a pas plu à tout le monde.

On vous a reproché de faire une confiance aveugle à la science et de proclamer que tout progrès technique était bon par essence. Il y a pourtant eu des scandales sanitaires, des avancées scientifiques aux conséquences effrayantes... Comment trouver l'équilibre ?

C'est toute la question du doute raisonnable et de la culture de la prévention. On ne pourra jamais prouver l'inexistence d'un risque, l'absence de preuve ne sera jamais la preuve de l'absence. Il y a eu des erreurs, des fautes politiques : sang contaminé, amiante... Mais notre tribune s'attaquait simplement au problème de la médiation scientifique, et à leurs effets pervers sur la décision publique. Il est absolument anormal que la décision publique dans le domaine politique découle du traitement médiatique de l'information. Affirmer que le progrès technologique ne peut pas s'accompagner d'un progrès social me paraît exagéré. Il suffit de regarder l'évolution de l'espérance de vie.

Vous ne pouvez pas mélanger la rationalité scientifique et la rationalité politique

On a parfois l'impression que l'écologie est la nouvelle porte d'entrée idéale pour la remise en cause de la rationalité : opposition aux vaccins, tendances new age et mystiques dans les mouvements écologistes comme Extinction Rebellion, désinformation sur le nucléaire... L'exaltation de la nature écologiste contient-elle en creux une critique du progrès technique ?

L'écologie est par définition une discipline scientifique. L'écologie politique, c'est autre chose. Vous ne pouvez pas mélanger la rationalité scientifique et la rationalité politique. On se retrouve alors les anciennes sciences prolétariennes, les approches chrétiennes des mathématiques, la science militante citoyenne, les cultural studies... Je reprendrai l'approche de Jérôme Fourquet, qui explique la montée en puissance d'un rapport sacralisé à la nature et à l'environnement en raison d'un affaiblissement de la matrice religieuse. Les chrétiens existent encore, mais leur religion ne sert plus de ciment social. C'est la porte d'entrée à de nouvelles spiritualités, à des formes de religiosité contemporaines radicales comme l'antispécisme ou le véganisme radical. Toute la difficulté est de faire la part des choses entre les réels problèmes environnementaux et ce qui relève d'une croyance un peu moralisatrice selon laquelle il faudrait protéger la Terre des hommes. C'est un enjeu politique fort.

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(*) Virginie TOURNAY est Directrice de recherche au CNRS, la lauréate du prix Science et laïcité attribué par le Comité Laïcité République en 2019 s'inquiète de la montée de la remise en cause de la rationalité scientifique, à l'heure des réseaux sociaux, du retour du religieux et des conflits communautaires.

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