La crise ne serait pas une crise mais une mutation.
Jean-Claude Guillebaud s’agace contre ceux qui « mentent » aux français en leur parlant de crise alors que nous vivons une « grande Mutation ».
Quelques jours auparavant, c’est le consultant Pierre-Eric Sutter qui proclamait « la crise est finie, vive la mutation ». [1]
L’idée suggère qu’après la crise, le monde aura changé et que plus rien ne sera comme avant.
Et plutôt que se lamenter sur la crise et d’attendre la sortie du tunnel, on ferait mieux de préparer activement l’avenir.
Un monde ancien craque et meurt pour laisser place à un nouveau.
Et ce que l’on appelle la crise ne serait donc qu’un douloureux accouchement…
Que cache cette idée ?
La vision de la crise comme mutation renvoie implicitement à deux modèles de changement.
_
• L’innovation comme « destruction créatrice » à la Darwin
Tout se résume en un slogan : innover ou périr.
C’est le modèle de l’innovation de Joseph Schumpeter où le neuf remplace l’ancien : cela vaut pour les techniques, les espèces vivantes, les idées, les modes, etc.
Au fond, cela correspond au schéma darwinien de l’évolution.
Une espèce n’est plus adaptée à un environnent: elle donc disparaître ou muter.
Ainsi va la vie : des plantes, des animaux, des techniques, des sociétés, des idées.
La formule la plus juste serait donc la « création destructrice », plutôt que l’inverse.
Sur le plan stratégique la mutation par « destruction créatrice » suppose d’innover pour s’adapter.
_
• La mutation comme « grande transformation ».
« là où croit le danger, croit aussi ce qui sauve »
Il existe une autre conception de la crise/mutation comme « métamorphose » ou « grande transformation ».
Ce modèle est inspiré de Hegel qui envisage le devenir à partir du dépassement de ses contradictions.
Ce schéma est celui de « la Grande Transformation » de Karl Polanyi.
La « grande transformation » des années 1930 c’est la création d’un nouveau système social qui nait des contradictions du système ancien.
Comme le dit le poète Hölderlin « là où croit le danger, croit aussi ce qui sauve »
Mais il faut une régulation mondiale.
Scénarios de crises
• Crise/mutation.
Dans un cas il faut participer à la course à l’innovation; dans l’autre, il faut créer des dispositifs protecteurs.
L’un appelle par exemple un nouveau cycle de croissance, l’autre invite à contrôler le système.
L’histoire montre qu’il existe d’autres scénarios de sortie de crise qui n’aboutissent à aucune mutation.
_
• Le scénario des cycles.
Il est des crises qui ne changent pratiquement rien.
C’est le cas des crises cycliques (en économie, on les appelle cycles Juglar, Kitchin, Kondratieff) qui ne prévoient pas forcément une mutation du système.
A l’échelle de l’histoire les grandes épidémies de pestes du Moyen –Age, n’ont pas abouti à la mutation du système.
Les crises financières à répétition de ces 25 dernières années n’ont ni abouti ni à la disparition ni à sa transformation. Tout change pour que rien ne change.
C’est le scénario de l’éternel retour (Nietzsche).
_
• La disparition.
Les cités Mayas sont entrées en crise au 9ème siècle de notre ère puis ont disparu de la scène de l’histoire.
Leur crise n’était pas une mutation. Elle n’annonçait rien de nouveau.
L’empire romain s’est disloqué puis désagrégé sans muter.
Il en fut ainsi des empires babylonien, assyrien, hittite, perse, égyptien, Inca, Aztèque, Khmers, Gupta, etc. et bien d’autres encore.
Ils sont ont tout simplement disparu de la scène de l’histoire. Les ammonites ou les dinosaures qui ont autrefois peuplé la terre ont été éliminé suite à de grandes extinctions qui n’étaient en rien des « destructions créatrices ».
Sans mutation.
Alors la crise actuelle est-elle une mutation ?
On voit ici quatre scénarios de sortie de crises possibles :
- La destruction créatrice (modèle Darwin – Schumpeter)
- La métamorphose/transformation (modèle Hegel – Polany- Morin)
- Le cycle de l’éternel retour (modèle Nietzsche – Kondratieff)
- La crise extinction (modèle apocalytique)
L’histoire du vivant, comme celle des économies, propose aussi bien d’autres issues qui résultent de la combinaison des scénarios précédents.
_
Alors la crise : une mutation ?
____
[1] Cf François Dortier, "La Quatrième Question", blog, 11.12.13.
____
http://www.dortier.fr/crise-mutation/
____