Avec iBooks Author, iBooks 2 et l’application iTunes U, Apple s’est mis en position de rééditer avec le secteur de l’édition scolaire la révolution qu’elle a menée à bien avec la musique.
19 janvier 2012. Clairement, il y aura un avant et un après ce 19 janvier 2012 dans la mesure où, une nouvelle fois, Apple vient de révolutionner un secteur sur lequel elle pensait pouvoir apporter sa pierre. Cet après-midi, en direct du musée Guggenheim de New York, c’était le tour du secteur de l’édition de se voir chamboulé, cul par-dessus tête. Pour faire bonne mesure, le secteur de l’éducation en a profité pour en prendre lui aussi pour son grade, tant l’événement de cet après-midi lui était directement dédié. Mais c’est bien le secteur de l’édition et l’objet « livre » en particulier qui se sont vus aujourd’hui convoqués à une nouvelle métamorphose. De fait, le livre tel que nous le connaissions, fût-il au format numérique, nous apparaîtra dans 10 ans aussi désuet qu’aux contemporains de Gutenberg les codex qui ont précédé la Bible de Saint Jérôme.
La firme de Cupertino n’est pourtant pas une novice sur chacun de ces deux secteurs : on oublie trop souvent que ce sont les capacités révolutionnaires en matière de typographie des premiers Macintosh, en s’appuyant sur le langage PostScript et les premières LaserWriter, qui ont permis une première fois à l’imprimerie de se réinventer en se débarrassant des plaques de zinc et des caractères de plomb. Quant au secteur de l’éducation, Phil Schiller qui tenait cette fois-ci le rôle de M. Loyal a eu beau jeu de rappeler l’implication d’Apple dans l’enseignement et son intuition de l’utilisation de l’outil informatique dans les apprentissages.
Or ce qui était à la base une passion aussi bien qu’une intuition de visionnaires pour les deux fondateurs de la société au moment des programmes « Kids can’t wait » ou « Wheels for the Mind » est devenu un marché de masse à mesure que l’intuition initiale de l’intérêt de l’outil pour les apprentissages trouvait sa confirmation. Paradoxe des paradoxes, Apple qui avait su faire de l’enseignement Primaire et Secondaire (K-12) l’un de ses points forts – peut être l’un des derniers alors que la société était menacée de naufrage – a été mise en position d’outsider, par Dell le numéro un mondial de l’époque, au tournant des années 2000. Depuis, quels que soient par ailleurs les résultats mirobolants d’Apple dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, le californien n’a jamais réussi à retrouver une place prépondérante à l’école, au collège ou au lycée malgré quelques succès ponctuels de déploiement de classe mobile.
Pensé sans doute au premier chef pour ce marché de l’enseignement primaire et secondaire, l’iPad a été accueilli comme pain béni par les équipes Education du constructeur mais, même avec l’appareil idéal comme la tablette entre les mains, celles-ci savaient combien restait nécessaire la disponibilité de contenus spécifiques pour se différencier vis-à-vis de la concurrence. Or avec iBooks Author et l’application iTunes U, ce sont deux outils de production de contenu que les enseignants réclamaient et avaient besoin dont Apple s’est dotée, et qui lui donne les moyens de rééditer avec l’iPad le tour de passe-passe réalisé avec l’iPod et iTunes, ou l’iPhone et l’AppStore, au nez et à la barbe de la concurrence.
Fidèle à sa martingale, Apple propose en effet à la fois un support électronique, le device, à la fois attractif et stimulant mais également abordable, c’est l’iPad ; un nouveau format de document innovant et attractif en même temps qu’une solution de classement et de présentation, c’est iBooks 2 ; une solution révolutionnaire par sa simplicité et ses fonctionnalités avancées pour la production de contenus riches et interactifs, et destinée bien entendu aux enseignants mais également à qui voudra bien s’en donner la peine, c’est iBooks Author.
Bien entendu, le volet « distribution » de la solution n’est pas non plus oublié et l’iBookstore se voit à présent flanqué d’une nouvelle section « livres scolaires » qui va permettre aux éditeurs de commercialiser leur production. Comment les éditeurs européens, les Français en particulier, accueilleront-ils la solution proposée par Apple à leurs homologues États-Uniens ? Difficile de le prédire, mais de ce que l’on a pu voir dans les différentes vidéos de présentation, les principaux américains du secteur sont partie prenante dans l’affaire et pour le moins enthousiastes. En outre, en coupant (enfin) le cordon ombilical avec iTunes, l’application iTunes U permet désormais non seulement aux universités mais également aux lycées et aux collèges de disposer d’un véritable environnement numérique de travail à la disposition de leurs professeurs et de leurs élèves.
Mais ce n’est pas tout. En réservant iBooks Author à la seule plateforme OS X et iBooks ou l’application iTunes U à la plateforme iOS – qui plus est gratuitement – Apple réédite la petite entourloupe qui lui avait permis de faire découvrir sa plateforme de « bureau » à tant de programmeurs qui voulaient se consacrer à l’iPhone... et qui au final ont également développé pour Mac OS X en se faisant distribuer par le Mac App Store. Or c’est sans doute ce versant-là de la façon de procéder d’Apple qui est à la fois si agaçant pour ses détracteurs, et attachant pour ses aficionados : cette façon si particulière qui est la sienne de faire un business gagnant avec ce qui est au fond une passion, des appareils et des solutions « cool » dont leurs créateurs sont fiers et qu’ils aiment utiliser.
Comment ne pas voir en effet dans la solution complète présentée cet après-midi une nouvelle fois l’intuition de Steve Jobs, présentée dès février 2007 lors d’un congrès sur l’éducation, et où pointait déjà à la fois la confirmation de la réflexion sur l’iPad menée en interne à Cupertino en même temps que la nécessité d’une solution orientée vers la production et la distribution des contenus pédagogiques (lire « Jobs et Woz toujours fringants ») ? Une chose est sûre : si les concurrents de l’iPad veulent pouvoir s’implanter de façon significative sur le marché du K-12, il va leur falloir improviser une solution autrement plus créative que les pâles tentatives de resucées de l’AppStore que l’on a vu fleurir avec retard un peu partout, une fois le succès de l’iPhone devenu évident.
Or les enjeux financiers sont énormes pour les collectivités et les gouvernements, alors qu’il est chaque année plus difficile pour les enseignants de mobiliser l’attention de plus en plus d’adolescents autour de savoirs présentés sur des supports vieillissants, avec des élèves de plus en plus accoutumés à des stimulations multiples et de plus en plus difficiles à concentrer.