L'orbite terrestre fait le climat
Depuis des centaines de milliers d’années, notre planète oscille entre périodes glaciaires et interglaciaires : un phénomène naturel, réglé comme une horloge. Depuis environ 2,6 millions d’années, la Terre est entrée dans une période appelée Quaternaire, justement caractérisée par cette alternance.
Ces cycles sont intimement liés aux variations de l’orbite terrestre, de l’inclinaison de l’axe de la Terre et de la précession des équinoxes, ce lent mouvement de l’axe de rotation de notre planète. Toutefois, nous ne disposions pas encore de toutes les informations nécessaires pour comprendre exactement comment ces mécanismes orbitaux qui déclenchent les ères glaciaires fonctionnent réellement.
Une équipe dirigée par Stephen Barker de l’Université de Cardiff vient de lever le voile sur les rouages précis de ce processus. Leur étude a été publiée le 28 février dans la revue Science et ils sont même parvenus à prévoir quand surviendra la prochaine période pendant laquelle la Terre sera de nouveau recouverte de glace.
Pourquoi la Terre entre-t-elle en glaciation ?
Plutôt que de s’appuyer uniquement sur la datation absolue des évènements climatiques – exercice limité par les marges d’erreur – les chercheurs ont adopté une autre méthode : analyser la morphologie même des phases de déglaciation et d’entrée en glaciation, pour les corréler avec le phasage orbital. Exactement comme si l’on regardait des photos d’un glacier au fil du temps.
Au lieu de simplement noter les dates, les scientifiques ont examiné attentivement la forme du glacier : fond-il rapidement, ou lentement ? Est-ce que sa forme change brusquement ou progressivement (déglaciation) ? Est-ce qu’il s’étend rapidement ou lentement ? Prend-il une forme particulière (glaciation) ?
Ensuite, ils ont comparé ces changements de forme avec les changements de l’orbite de la Terre pour chercher des correspondances. Est-ce que les déglaciations rapides se produisent toujours quand l’orbite de la Terre change d’une certaine manière ? Est-ce que les entrées en glaciation lentes se produisent toujours quand l’orbite change d’une autre manière ?
Les résultats de leurs observations ont démontré une correspondance entre la durée des déglaciations et la configuration relative de deux paramètres orbitaux clés. « Nous avons trouvé une forte corrélation entre la durée des déglaciations et le phasage de la précession par rapport à l’obliquité pendant les terminaisons glaciaires », explique l’équipe dans sa publication.
Les analyses ont prouvé que le déclenchement des déglaciations est principalement dû à l’intensification estivale maximale (précession) combinée à une obliquité croissante, tandis que l’entrée en période glaciaire dépend exclusivement de l’obliquité. En d’autres termes, les étés très chauds, combinés à l’inclinaison croissante de la Terre, font fondre les glaces, tandis que seule l’inclinaison de la Terre détermine quand les glaces recommencent à s’étendre.
Cette distinction éclaire enfin un mystère qui perdurait depuis la formulation initiale de la théorie de Milankovitch au début du 20ᵉ siècle. Une des premières théories qui mettait en rapport les variations de l’orbite terrestre et les cycles de glaciations, imagée par la vidéo ci-dessous. Si l’existence des cycles de 41 000 ans (obliquité) et 21 000 ans (précession) avait été confirmée dans divers enregistrements paléoclimatiques par d’autres scientifiques (Hays, Imbrie et Shackleton) en 1976, leurs rôles respectifs restaient jusqu’à présent plutôt obscurs.
Le mystère des 100 000 ans résolu
Cette recherche a également permis de comprendre une autre énigme : pourquoi observe-t-on une forte périodicité d’environ 100 000 ans dans les cycles glaciaires récents, alors que l’influence directe de l’excentricité (qui varie selon cette périodicité) est théoriquement très faible ?
L’équipe de Barker a démontré que ce cycle apparent de 100 000 ans est en réalité un phénomène émergent. Les terminaisons glaciaires ne surviennent qu’avec un sous-ensemble spécifique des pics de précession – précisément ceux qui commencent (c’est-à-dire quand le paramètre de précession commence à diminuer) pendant que l’obliquité augmente. Plus spécifiquement, la fonte des glaces se produit avec le premier de ces pics « candidats » à survenir après chaque minimum d’excentricité. La Terre a donc besoin de trois clés pour que ses glaces fondent : un été très chaud, une inclinaison qui augmente et une orbite presque ronde. Ces trois clés doivent être présentes ensemble.
Cette découverte établit enfin un lien causal entre les cycles de Milankovitch et le fameux « monde des 100 000 ans » qui caractérise les cycles glaciaires récents, et qui était jusqu’alors difficile à expliquer simplement par la théorie astronomique du climat.
Le calendrier climatique naturel face à l’interférence anthropique
Sur la base de ce modèle déterministe nouvellement établi, les chercheurs peuvent désormais prédire l’évolution naturelle du climat terrestre. Actuellement, l’inclinaison axiale de notre planète diminue progressivement vers son minimum, créant les conditions astronomiques propices à l’apparition d’une nouvelle ère glaciaire dans approximativement 11 000 ans. Nous serons donc en 13 025… si l’humanité est encore présente à la surface de la planète pour le voir ; il est possible que cela ne soit pas le cas.
Toutefois, cette projection ne tient pas compte du forçage radiatif colossal induit par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Comme le souligne Stephen Barker : « Selon les derniers rapports du GIEC, les humains ont déjà commencé à modifier le cours du climat en s’éloignant de sa trajectoire naturelle par l’émission de gaz à effet de serre ».
Théoriquement, cette étude nous place donc devant une situation à la fois étonnante et effrayante : pour la toute première fois de l’histoire terrestre, une espèce biologique possède la capacité de perturber un cycle astronomique opérant depuis des millions d’années. Les émissions actuelles pourraient non seulement retarder, mais potentiellement annuler complètement la prochaine période glaciaire. Un trophée empoisonné qu’il serait peu sage de brandir.
- Une étude récente a identifié comment l’interaction entre l’orbite terrestre, l’inclinaison de l’axe et la précession des équinoxes déclenche et met fin aux périodes glaciaires.
- Les conditions astronomiques naturelles mèneraient la Terre vers un nouvel âge glaciaire, conformément aux cycles établis depuis des millions d’années.
- Les émissions de gaz à effet de serre pourraient perturber ou même annuler cet événement climatique, marquant une interférence inédite dans l’histoire de la planète.