Le climat est-il malade, et si oui comment le soigner ?
Le diagnostic dominant, et même hégémonique, est le suivant : les rejets anthropiques de CO2 sont la cause d’une hausse considérable des températures, qui a des conséquences terribles. On en tire une thérapeutique : réduire à zéro ces rejets mortifères, thérapeutique effectivement mise en œuvre, au moins dans les pays dévelopés.
On peut légitimement entretenir des doutes sur le diagnostic (CO2 —> températures, et températures —> conséquences). On ne le fera pas ici.
On s’interrogera plutôt sur la thérapeutique
Correct ou non, le diagnostic débouche sur deux prescriptions bien distinctes :
(i) agir sur la cause de l’évolution du climat, sur le CO2
(ii) agir sur les conséquences de cette évolution, sur les dommages potentiels.
Actuellement. seule la première de ces deux options, qu’illustre la figure du prophète, domine totalement le paysage. On peut pourtant penser que la deuxième, qui s’incarne dans le travail de l’ingénieur, est la plus raisonnable.
Réduire les émissions de CO2 à zéro est totalement irréaliste
Il est facile de voir que la stratégie de réduction à zéro des émissions de CO2 est irréaliste, pour ne pas dire absurde. Deux chiffres le montrent. Les célèbres accords de Paris, en 2015, allaient sauver la planète en engageant l’élimination du CO2. Comment ont évolué les rejets depuis 2015 ?
Dans l’Union Européenne, les rejets de CO2 ont diminué d’un peu plus de 300 millions de tonnes. A un coût très élevé qui affecte la compétitivité et le niveau de vie de l’Union : les prix de l’électricité, par exemple, y sont deux ou trois fois plus élevés que dans le reste du globe.
Dans le même temps, en Chine, durant la même période, les rejets de CO2 ont augmenté de 1300 Mt. Un pas en avant, quatre pas en arrière. L’humanité ressemble à Pénélope qui détricotait chaque nuit le linceul qu’elle avait tissé chaque jour ; ou à Sisyphe qui montait à grand peine son rocher presque au sommet de la colline, pour le voir lui échapper et dégringoler la pente.
La sagesse grecque nous rappelle que le linceul de Pénélope ne fut jamais tissé, et que le rocher de Sisyphe ne fut jamais posé au sommet.
Rien ne permet de penser que la situation pourrait être renversée dans les décennies à venir. Le coût de la réduction d’une tonne de CO2 va augmenter dans les pays développés qui, on peut le supposer, ont commencé par les opérations de réduction les moins coûteuses, et vont continuer avec des opérations de plus en plus coûteuses. Les habitants de ces pays, surtout les plus pauvres d’entre eux, et les entreprises, ne supporteront pas ces augmentations. On le sait et on le dit depuis longtemps.
Mais l’actualité devrait ouvrir les yeux les mieux fermés
Les prophètes, et les gouvernements qui les écoutent, ont tout fait pour avoir une énergie très chère (pensez à la taxe carbone, présentée comme le plus sûr moyen de réduire nos rejets de CO2). Ils ont obtenu une énergie chère. Et les voilà qui la trouvent trop chère. Ils font marche arrière, et se disputent sur les moyens d’en faire baisser le prix.
De toutes façons, tous les efforts de nos pays développés sont et seront dérisoires et vains. L’évolution du total des rejets n’est plus entre nos petites mains, mais entre les gros bras de la Chine, de l’Inde, et des pays pauvres.
C’est pourquoi, il faut se tourner vers une autre politique
Celle qui consiste à demander aux ingénieurs de nous protéger des conséquences possibles des évolutions du climat. Les forêts de Gironde sont en feu. Il est puéril d’en conclure que cela prouve que nous n’avons pas assez lutté contre les rejets de CO2, et qu’il faut dorénavant remplacer les bains par des douches; c’est là singer les prêtres et les courtisans de Byzance qui discutaient du sexe des anges lorsque les Ottomans faisaient le siège de la ville.
En réalité, ces incendies signifient que nous n’avons pas assez débroussaillé et pas assez acheté de canadairs, et qu’il faut engager des programmes de débroussaillage et d’achats de canadairs.
Cette stratégie d’adaptation n’a rien d’original, elle est celle que l’humanité met en œuvre depuis toujours.
Elle a trois avantages :
Le premier est qu’elle fonctionne.
Le Bangladesh en fournit un exemple impressionnant, qu’illustre le tableau ci-après.

Ce pays de basse altitude est depuis toujours exposé à des cyclones dévastateurs. Au cours des cinquante dernières années, les pertes humaines causées par les cyclones y ont été drastiquement réduites, presque éliminées. Pas parce que les cyclones auraient été moins violents. Pas parce que la teneur en CO2 aurait diminué. Mais parce que le Bangladesh, qui a créé un ministère de la Gestion des désastres, a amélioré la protection des habitants. Pour le cyclone Amphan, en 2020, près de deux millions de personnes ont été évacuées, mises à l’abri, nourries, soignées – et sauvées.
Le second avantage est que cette stratégie d’adaptation est considérablement moins coûteuse que la stratégie d’élimination des rejets de CO2. On dispose de peu d’études véritablement scientifiques sur ce point. Mais des analyses officielles anglaises sur les dommages potentiels des inondations des côtes et des rivières (le plus important des dommages associés à une continuation de l’augmentation des températures) suggèrent un coût annuel de 10 (dix milliards de livres par an) pour l’inaction, de 1 pour l’adaptation, et de 100 pour l’élimination des rejets de CO2. Ces chiffres sont à prendre avec prudence, mais le rapport de 100 à 1 qu’ils suggèrent est un ordre de grandeur (en fait : deux ordres de grandeur) qui donne à réfléchir. Ils ne sont pas inconciliables avec la conclusion de William Nordhaus, prix Nobel d’économie (le plus écologiste des économistes, et le plus économiste des écologistes), qui a calculé que l’augmentation optimale de température, celle qui minimise le total des coûts pour l’humanité, est de 4 degrés centigrades, ce qui nous est présenté par beaucoup comme la fin de la planète.
Le troisième avantage est que cette stratégie est graduelle. Elle consiste à faire ce qui est utile pour réduire les dommages immédiatement prévisibles, là où cela apparaît nécessaire, hic et nunc. Si dans vingt ans d’autres dépenses deviennent nécessaires, il sera toujours temps de les engager. Si cela ne devient pas nécessaire, si par exemple, le soleil se met à moins chauffer, ou si le CO2 n’est pas la cause principale du réchauffement, eh bien tant mieux, on aura fait de grosses économies. Cette politique des petits pas dans le réel se compare avantageusement avec la politique dominante du grand bond en avant dans l’inconnu. Elle consiste à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et permet de prendre en compte les incertitudes du climat et de la technologie.
Tout suggère donc que pour faire face au (modeste) réchauffement de notre planète, mieux vaut faire confiance aux ingénieurs qu’aux prophètes.
A l’action effective des ministres de la Gestion des désastres du Bangladesh et d’ailleurs, plutôt qu’aux discours enflammés de l’écolière Greta Thunberg et de ses thuriféraires.