Un article de Judith Curry publié le 6 octobre 2021 par le site WUWT
J’ai lu en profondeur le 6° rapport du GIEC (AR6 WG1) et je félicite les auteurs pour la qualité de ce document qui est beaucoup plus sophistiqué intellectuellement que les précédents.
Des sujets tels que « l’incertitude profonde », les modèles « prêts à l’emploi » (des sujets que je traite sur mon site Climate Etc.) sont en fait mentionnés de manière significative dans le 6° rapport. De plus, la variabilité interne naturelle reçoit beaucoup d’attention, de même que les volcans (mais pas le solaire en revanche).
Dans le 4° rapport GIEC (2007), les modèles climatiques mondiaux dominaient
Comme en témoigne cette citation :
« Il existe une grande confiance dans le fait que les modèles climatiques fournissent des estimations quantitatives crédibles des futurs changements climatiques, en particulier à l’échelle continentale et au-dessus. »
Le 4° rapport du GIEC avait déterminé sa gamme probable de valeurs de la sensibilité climatique presque exclusivement à partir de simulations de modèles climatiques. Et ses projections pour le 21e siècle ont été déterminées directement à partir de simulations de modèles climatiques basées uniquement sur des scénarios d’émissions.
Quelques nuances de doute quant à ce que produisent les modèles climatiques mondiaux sont apparus dans le 5° rapport
S’agissant de la sensibilité climatique, le rapport avait inclus dans une note de bas de page du SPM (rapport à l’intention des décideurs) la déclaration suivante :
« Aucune meilleure estimation de la sensibilité climatique à l’équilibre ne peut désormais être donnée en raison d’absence d’accord sur les valeurs émanant des sources de preuves et des études évaluées. »
Plus précisément, les estimations de l’ECS (Equilibrium Climate Sensitivity) basées sur les observations étaient considérablement inférieures à celles résultant des modèles climatiques.
Peut-être plus important encore, la figure 11.25 du 5° rapport incluait une zone hachurée en rouge subjectivement déterminée à partir d’un « jugement d’expert » selon laquelle les modèles climatiques surchauffent. Il est à noter que les projections au-delà de 2035 n’ont pas été ajustées de la même manière.
Le rapport AR6 du GIEC va bien au-delà du travail commencé dans l’AR5
En ce qui concerne la sensibilité climatique à l’équilibre, l’AR6 rompt avec la plage (admise de longue date) de 1,5 à 4,5 °C , et réduit la plage « probable » à 2,5-4,0 °C. Voici comment cette plage se compare aux estimations précédentes et aux modèles CMIP6 (comme analysé par Mark Zelinka) :
L’analyse de l’ECS AR6 a été fortement influencée par Sherwood et al. (2020). Je suis d’accord avec la baisse de la valeur supérieure de 4,5 à 4,0°C. mais pas avec les arguments donnés pour justifier l’augmentation de la valeur inférieure de 1,5 à 2,5°C. Sans entrer ici dans le détail de mes propres arguments, je note que Nic Lewis fait un travail d’analyse de cette question. Mais la principale signification du rétrécissement de la plage de valeurs de l’ECS est le manque d’influence des valeurs fournies par la modélisation CMIP6.
Un nombre important de modèles CMIP6 chauffent beaucoup trop, cela a été relevé par de nombreuses publications. Dans ses projections des températures de surface moyennes mondiales du 21e siècle, l’AR6 fournit des projections « contraintes » (y compris des modèles climatiques avec des valeurs raisonnables de sensibilité climatique qui simulent raisonnablement le 20e siècle). La figure 4.11 de l’AR6 montre l’ampleur de ces contraintes. Pour le scénario SSP5-8.5, l’amplitude de la contrainte par rapport à la modélisation CMIP6 sans contrainte est de 20 %.
Pour la première fois, la modélisation CMIP6 inclut des scénarios réels d’activité volcanique et de variabilité solaire
Elle inclut un niveau de fond d’activité volcanique (pas d’éruptions majeures) et une projection réelle de la variabilité solaire du 21e siècle de Matthes (2017) (discutée précédemment ici ), bien que peu de modèles soient capables de gérer de manière crédible les effets solaires indirects. L’AR6 ne considère que ces scénarios solaires et volcaniques de référence ; les autres scénarios volcaniques (illustrés à la figure 1, encadré 4.1 du rapport AR6) et le scénario minimum de Maunder de Matthes (2017) sont sûrement plus plausibles que le scénario SSP5-8.5 et auraient donc dû être inclus dans les projections. [NDT pour la définition des scénarios d’émission SSP, voir ce site].
Le rapport AR6 reconnaît également l’importance de la variabilité interne naturelle dans de nombreux chapitres
Les modèles CMIP6 incluaient le Single Model Initial Condition Large Ensembles (SMILEs ; section 6.1.3). Cependant, il existe des disparités importantes entre la variabilité de la circulation à grande échelle dans les observations par rapport à la plupart des modèles (GIEC AR6 Chapitre 3) : variabilité décennale trop forte et variabilité multi-décennale et centenaire trop faible. Quelques modèles semblent faire du très bon travail, notamment le GFDL.
Voici les prévisions d’ensemble pour SSP2-4.5, y compris les projections des modèles individuels, la plage de 90 % « contrainte » par rapport à celle « non contrainte » et la meilleure estimation du rapport AR6 (notez que cette image a été extraite d’un article de CarbonBrief).
La meilleure estimation de l’AR6 se situe près de l’extrémité inférieure de l’ensemble de la fourchette ; ce biais ne laisse pas beaucoup de place à la variabilité naturelle (en particulier de la variété multi décennale) à l’extrémité inférieure de la plage du modèle pour vraiment illustrer une plage de temps réaliste quant au moment où nous pourrions dépasser les seuils de « danger » de 1,5 et 2°C.
Pour minimiser certains des problèmes liés à la mise sous contrainte des projections, l’accent est mis sur l’évaluation des impacts à différents niveaux de réchauffement climatique, par exemple 2,4 °C.
Projections régionales
Le rapport AR6 du GIEC met l’accent sur le changement climatique régional (chapitres 10, 12). L’accent est mis sur une distillation de diverses sources d’information et d’éléments de preuve, et une reconnaissance indirecte que les modèles climatiques mondiaux ne sont pas d’une grande utilité pour les projections régionales.
Émulateurs climatiques
Depuis le rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5°C, le GIEC a de plus en plus mis l’accent sur l’utilisation d’émulateurs climatiques, qui sont des modèles climatiques très simplifiés (voir cet article de CarbonBrief pour plus d’explications) qui sont réglés sur les résultats du modèle de circulation générale global. Ces modèles permettant à quiconque d’exécuter de nombreux scénarios différents sont très pratiques pour analyser des politiques.
Et il n’y a aucune raison pour que ce cadre général ne puisse pas être étendu pour inclure de futurs scénarios de réchauffement/refroidissement liés au volcanisme et au soleil, ainsi que la variabilité interne multi décennale. Ce cadre pourrait être très utile pour les projections climatiques régionales.
Cependant, les émulateurs climatiques ne sont pas des modèles basés sur la physique.
Les modèles climatiques mondiaux sont-ils les meilleurs outils ?
Voici le texte d’un essai que je suis en train d’écrire :
Dans les années 1990, l’urgence politique perçue exigeait une confirmation rapide que le changement climatique causé par l’homme est dangereux. Les modèles climatiques ont été investis de ce rôle par les décideurs politiques désireux d’appuyer leurs politiques sur une base scientifique (Shackley et al.). Cependant, les défis scientifiques et politiques du changement climatique sont beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait dans les années 1990. Le résultat final est que la modélisation climatique a exploré un large éventail d’applications motivées par les besoins des décideurs politiques, en utilisant des modèles qui ne sont pas adaptés à cet objectif.
Les simulations informatiques complexes en sont venues à dominer la science du climat et ses domaines connexes, au détriment de l’utilisation de sources de connaissances traditionnelles, de l’analyse théorique et de la validation de la théorie par les observations. Dans un article intitulé à juste titre « Les dangers de trop de calcul et de trop peu de réflexion », Kerry Emanuel, scientifique spécialiste de l’atmosphère de LINK, s’est dit préoccupé par le fait que l’inattention portée à la théorie produisait des chercheurs en climatologie qui utilisent ces vastes ressources de manière inefficace, et que la chance de véritables percées dans la compréhension et la prédiction s’en trouve diminuée.
La complexité de la représentation des modèles est devenue un principe normatif central dans l’évaluation des modèles climatiques et de leur utilité politique. Cependant, non seulement les MCG (Modèles de Circulation Générale) sont gourmands en ressources et difficiles à interpréter, mais ils sont de plus pollués par une paramétrisation excessive et une attention insuffisante portée à l’incertitude.
Les nombreux problèmes avec les MCG et la crainte que ces problèmes ne soient pas résolus dans un proche avenir étant donné la voie de développement actuelle empruntée par ces modèles, suggèrent que des cadres de modélisation alternatifs devraient être explorés. Nous avons besoin d’une pluralité de modèles climatiques qui sont développés et utilisés de différentes manières à des fins différentes. Pour de nombreuses questions relatives à l’aide à la décision, l’approche centrée MCG pourrait ne pas être la meilleure approche. Cependant, un défi majeur est que presque toutes les ressources sont consacrées aux MCG et aux cycles de production du GIEC, laissant peu de temps et de financement disponibles pour des innovations dans la modélisation.
L’impératif politique de la prévision climatique a entraîné un excès de pouvoir et d’autorité aux MCG (Shackley), sur la base de la promesse que ces MCG seront utilisés pour fixer des objectifs de réduction des émissions et pour les prévisions régionales du changement climatique. Cependant, le GIEC s’appuie de plus en plus sur des modèles beaucoup plus simples pour fixer des objectifs d’émissions. L’espoir de prévisions régionales utiles du changement climatique à l’aide de MCG est peu susceptible de se réaliser sur la base de la voie actuellement empruntée par la modélisation.
En ce qui concerne l’adéquation aux objectifs des modèles climatiques mondiaux/régionaux pour la prise de décision en matière d’adaptation au climat, un excellent résumé est fourni par une équipe de scientifiques de l’Earth Institute et du Red Cross Climate Center de l’Université de Columbia :
Les projections des modèles climatiques sont capables de capturer de nombreux aspects du système climatique et sont donc utilisables pour orienter les plans d’atténuation et les stratégies d’adaptation générales, mais l’utilisation de ces modèles pour guider des actions d’adaptation locales et pratiques n’est pas justifiée. Les modèles climatiques sont incapables de représenter les conditions futures au degré de précision spatiale, temporelle et probabiliste avec lequel les projections sont souvent fournies, ce qui donne une fausse impression de confiance aux utilisateurs d’informations sur le changement climatique.
(Nissan et al.)
Les MCG ont clairement un rôle important à jouer notamment dans la recherche scientifique. Cependant, poussés par les besoins urgents des décideurs politiques, les progrès de la science du climat sont sans doute ralentis par la concentration des ressources sur cette seule voie de la modélisation climatique. Les nombreux problèmes avec les GCM et les craintes que ces problèmes ne soient pas résolus dans un avenir proche étant donné la voie de développement actuelle, suggèrent que des cadres alternatifs devraient être explorés . Ceci est particulièrement important pour l’interface science-politique.
Quelques réflexions de Judith Curry
Dans le rapport AR5, l’accent était mis sur les modèles des systèmes terrestres et leur complexification toujours croissante au fur et à mesure de l’ajout de chimie et de dynamique de la calotte glaciaire.
Dans l’AR6, ces modèles climatiques complexes sont révélés pour ce qu’ils sont : des jouets très compliqués et gourmands en calculs, dont les principaux résultats dépendent de processus de rétroaction thermodynamique rapides (vapeur d’eau, taux de chute, nuages) qui sont déterminés par des paramétrisations à l’échelle de la sous-grille et par l’inévitable réglage du modèle.
Avec la très large gamme de valeurs de sensibilité climatique fournies par les modèles CMIP6, nous sommes sans doute dans une période d’apprentissage négatif. Et ce, en dépit du rapport AR6 du GIEC qui réduit substantiellement la fourchette de l’ECS de 1,5 à 4,5°C à 2,5 à 4°C (rappel : je ne crois pas à cette réduction de la valeur basse de la fourchette, et je reviendrai bientôt sur cette question).
Alors que nous reste t-il ?
- Les modèles climatiques mondiaux (ESM) restent un outil important pour comprendre le fonctionnement du système climatique. Cependant, nous avons atteint le point de rendements décroissants à moins que l’accent soit davantage mis sur l’amélioration de la simulation des modes de variabilité climatique interne et qu’il y ait des avancées dans le traitement des effets solaires indirects.
- Nous devrions abandonner l’ECS [NDT : Sensibilité climatique à l’équilibre] en tant que mesure pertinente pour les politiques et travailler à une meilleure compréhension et évaluation du TCR [NDT : Réponse climatique transitoire] et du TCRE [NDT Réponse climatique transitoire aux émissions cumulées de dioxyde de carbone] à partir des données historiques.
- Dans le contexte du point 1, je me demande si les modèles CMIP6 sont d’une quelconque utilité dans les études d’attribution.
- Les ESM (modèles climatiques mondiaux) ont perdu leur utilité pour les décisions politiques. Les modèles d’émulateurs climatiques sont beaucoup plus utiles pour les décisions politiques. Cependant, l’utilisation d’émulateurs climatiques éloigne l’élaboration des politiques d’une base physique. Ceci est particulièrement vrai pour le statut juridique des projections climatiques dans les diverses actions climatiques du 21e siècle.
Bien que cela soit caché dans le résumé pour décideurs, il est important de noter :
« A.1.3 La fourchette probable d’augmentation totale de la température de surface mondiale causée par l’homme de 1850-1900 à 2010-2019 est de 0,8°C à 1,3°C, avec une meilleure estimation de 1,07°C. Il est probable que des GES (gaz à effet de serre) bien mélangés ont contribué à un réchauffement de 1,0 °C à 2,0 °C, d’autres facteurs humains (principalement des aérosols) ont contribué à un refroidissement de 0,0 °C à 0,8 °C, les facteurs naturels ont modifié la température de surface globale de –0,1 °C à 0,1°C, et la variabilité interne l’a modifié de –0,2°C à 0,2°C.
Il est très probable que des GES bien mélangés aient été le principal moteur du réchauffement troposphérique depuis 1979, et il est extrêmement probable que l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique d’origine humaine ait été le principal moteur du refroidissement de la basse stratosphère entre 1979 et le milieu des années 1990.
Comparez cela aux déclarations du résumé pour décideurs du rapport AR5 :
« Il est extrêmement probable que plus de la moitié de l’augmentation observée de la température de surface moyenne mondiale de 1951 à 2010 ait été causée par l’augmentation anthropique des concentrations de gaz à effet de serre combinée à d’autres forçages anthropiques. La meilleure estimation de la contribution anthropique au réchauffement est similaire au réchauffement observé au cours de cette période. »
Dans l’ensemble, le rapport du WG1 (groupe de travail n°1) de l’AR6 est de bien meilleure qualité que l’AR5, bien que je reste dubitative sur leur confiance accrue dans une plage d’ECS plus resserrée.
L’essentiel, c’est que l’AR6 a brisé l’hégémonie des modèles climatiques mondiaux. L’importance des financements consacrés à ces modèles pour éclairer les décisions politiques est devenu de plus en plus difficile à justifier.