Tim Harford, l’Undercover Economist, rapportait, dans un article de l’édition des 11 et 12 janvier 2020 du Financial Times, que, si les tendances se maintenaient, le produit mondial brut (le PIB mondial) doublerait d’ici 2040. Cela correspondrait à un coefficient de croissance de x30 en un siècle, de x1000 en deux siècles.
Miraculeux ou apocalyptique, interrogeait le journaliste britannique.
S’agissant d’une statistique synthétique qui ne mesure ni la consommation d’énergie et de ressources, ni d’autres éléments qui contribuent au bonheur humain, ce n’est, a priori, ni l’un, ni l’autre.
Le PIB pourrait être un problème, comme le prétend Eloi Laurent, si les gouvernants de ce monde étaient obnubilés par sa maximalisation. Ils ne le sont pas. S’ils l’étaient, ironise Tim Harford, ils s’abstiendraient d’infliger l’austérité face à une crise financière, de lancer des guerres commerciales ou de mettre en oeuvre le Brexit (« getting Brexit done »).
La croissance économique c'est bon
Côté positif, la croissance du PIB est fortement corrélée avec les bonnes choses de la vie, à court terme avec une économie qui procure des emplois, à long terme avec le progrès social. En atteste le Social Progress Index, un indice du développement humain autour de 3 axes : les besoins de base (tels que alimentation, santé, logement, accès à l’électricité, sécurité), les piliers du bien-être (alphabétisation, éducation, espérance de vie, taux de suicide, obésité, pollution, etc.) et les opportunités (droits politiques, droits de propriété, corruption, accès à l’éducation supérieure, tolérance sociale, etc.). Cet indice du progrès social inclut 52 indicateurs et a été adopté par la Commission européenne.
Les effets pernicieux de la croissance économique
Il est faux de prétendre que le développement économique s’accompagne nécessairement d’effets pernicieux. C’est une simple question de bon sens. Un emploi permet de s’éclairer et de se chauffer, mais l’obtention du gros lot à la loterie n’incitera pas le gagnant à s’éblouir ou à se faire rôtir vivant. Trop c’est trop. De même, si l’esprit entreprise n’a pas pour priorité primordiale le respect de l’environnement, il est inévitablement amené à en tenir compte. L’énergie et les autres ressources ont un coût, qui pousse l’entreprise à les utiliser avec parcimonie pour garder ou renforcer sa compétitivité et sa rentabilité.
A titre d’exemple, cité par Tim Harford, les canettes de bière pesaient 85 g l’unité à la fin des années 1950, elles en pèsent moins de 13 aujourd’hui. Ce n’est pas un cas isolé : au Royaume-Uni, le poids total des marchandises entrant dans le cycle économique ainsi que celui des déchets en fin de cycle ont baissé depuis le début des années 2000 et pour toute l’Union européenne les émissions de CO2 ont diminué de 22% entre 1990 et 2017 (voir Eurostat). Une lecture de la presse alarmiste ferait croire le contraire.
Faut-il rejeter la croissance économique ?
Dans un article du 9 janvier 2020, Joel Kotkin, un spécialiste des tendances économiques, sociales et politiques de la Chapman University d’Orange, en Californie, et auteur de plusieurs livres, relève que, jusqu’il y a encore quelques années, la nécessité de la croissance économique pour soutenir la société était presque universellement reconnue, y compris par les socialistes, bien que ces derniers se soient souvent montrés plus habiles à assurer leur pouvoir et leur propre bien-être que le progrès matériel et la prospérité du plus grand nombre.
Alors que, pendant des décennies, la croissance économique a considérablement rehaussé le niveau de vie de centaines de millions de personnes en Amérique du Nord, en Europe et en Asie et a largement pourvu à la stabilité sociale après les convulsions de la Seconde Guerre mondiale, de nos jours, nombreux sont ceux dans la classe politique et le monde académique, y compris aux Etats-Unis, qui rejettent la notion même de progrès matériel en raison de préoccupations environnementales et d’équité sociale.
Le prix Nobel américain d’économie Joseph Stiglitz (du dernier livre duquel cette chronique vous a proposé une recension et auquel Eloi Laurent se réfère dans Sortir de la croissance) en fait partie, cela ne surprend pas. N’est-il pas, par contre, ahurissant qu’aucun candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine n’a fait de la croissance économique une priorité incontestable ? Même Joe Biden, considéré comme un démocrate modéré, s’est engagé à supprimer tout recours aux combustibles fossiles et à instaurer une politique « verte », s’étonne en substance Joel Kotkin, pourtant lui-même catalogué comme libéral progressiste.
Le fondamentalisme écologique
Que l’on ne s’y trompe pas, le fondamentalisme écologiste s’écarte radicalement des fondements du matérialisme dialectique marxiste et nous force à entrer dans une ère de déclin économique à un moment où les taux de natalité et les évolutions démographiques devraient, au contraire, instiguer à soutenir la croissance.
Les travailleurs et les épargnants seront les premières victimes de la décroissance. C’est l’essence du message qu’adressa le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, à la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, lorsque cette dernière évoqua à Davos une modélisation de l’économie à 30 ans en fonction de son impact environnemental : « So, if you want to put a tax on people, go ahead and put a carbon tax. That is a tax on hard-working people. »
Ce faisant, ne nous leurrons pas, corrélation à l’appui, le PIB reste un précieux indicateur de bien-être et de progrès social, comme le suggère ce tableau récapitulatif de l’indice SPI (dont l’illustration ci-dessus est la représentation).
Le mérite de "Sortir de la croissance" l’essai d’Eloi Laurent dont Palingénésie fit une recension la semaine dernière, réside dans ce qu’il indique la portée et l’ambition du projet écologiste. Le schéma extrait du livre et repris au bas du précédent article en témoigne, un bon croquis vaut mieux qu’un long discours.