La mise au ban de l’huile de palme est-elle explicable par protectionnisme politique ?
Par Pierre Bois D’Enghien.
En tant qu’ingénieur agronome avec plus de 20 ans d’expérience en plantations de palmiers à huile en Afrique et en Asie, je suis stupéfait par la médiocrité du débat sur l’huile de palme à Bruxelles. Les ONG, qui condamnent de manière péremptoire la production et la consommation d’huile de palme, ont perdu de vue à la fois les faits et la rigueur scientifiques, et les dirigeants politiques de l’UE semblent peu enclins à écouter ceux qui ont ces bases scientifiques.
Il y a bien sûr plusieurs points de vue sur l’intérêt sociétal d’utiliser des huiles comestibles comme biocarburant et ces opinions méritent d’être entendues ; mais il est exaspérant de lire et d’entendre des débats politiques basés sur des données erronées ou les clichés diffusés par des activistes clairement anti huile de palme.
L’huile de palme plus dangereuse ?
L’idée selon laquelle l’huile de palme présente un « risque plus élevé » (comme l’indique désormais la directive RED de l’UE) que d’autres oléagineux, est incorrecte sur les plans factuel et scientifique.
— la culture du palmier à huile est la culture oléagineuse qui occupe le moins d’espace et qui permet de protéger le plus de forêts et d’aires naturelles (elle nécessite dix fois moins de superficie que le soja pour une production égale)
— en tant que plante arborescente, le palmier à huile fixe et stocke le plus de carbone (1,6 tonne par hectare et par an) de toutes les plantes oléagineuses
— il abrite la plus grande biodiversité animale et végétale
— il utilise le moins d’engrais et de produits phytosanitaires : 0,4 kg de pesticides par hectare et par an contre 5,8 sur une culture de soja, ce qui correspond à 100 fois moins de pesticides appliqués pour la même quantité d’huile végétale produite.
Huile de palme et durabilité
Ces faits ne sont pas contestés : des organisations des Nations Unies à la Banque mondiale en passant par l’Agence française de développement, tous citent ces données. Pour beaucoup en Europe, le fait que la culture du palmier à huile soit 100 % sans OGM devrait également présenter un intérêt supplémentaire.
Le secteur de l’huile de palme a créé un référentiel de durabilité bien plus strict et plus complet que n’importe quels autres oléagineux européens. Cette norme RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil) a été développée en collaboration avec des producteurs, des fabricants et des ONG telles que le WWF.
Les principes et critères de la norme sont revus régulièrement et incluent désormais un engagement zéro brûlage (critère 7.11) et un engagement zéro déforestation (critère 7.12) conformément à l’approche High Carbon Stock, une approche promue par le WWF et Greenpeace. Le colza ou le tournesol ont-ils une responsabilité similaire ? Non. Et pourtant, ce sont apparemment des huiles « à moindre risque ». Où est la logique ?
La mise au ban de l’huile de palme est-elle explicable par protectionnisme politique ?
L’huile de palme est produite dans les pays en développement et est considérée comme à haut risque. Les cultures en compétition avec l’huile de palme, telles que le colza et le tournesol sont produites en Europe et sont considérées comme à faibles risques, bien qu’elles soient nettement moins performantes que le palmier sur bon nombre d’aspects environnementaux.
Le protectionnisme destructeur
Une récente enquête du New York Times a montré comment les subventions protectionnistes de l’UE en faveur de l’agriculture entraînent pollution et destruction de l’environnement à l’intérieur des frontières de l’Europe.
L’Indonésie a adopté en 2011 un moratoire contre la déforestation en vue du développement de nouvelles plantations de palmiers à huile. À l’époque, ce moratoire a été soutenu par de nombreux pays européens. Il fait désormais partie intégrante de la législation indonésienne.
Au lieu de nuire aux producteurs d’huile de palme, les dirigeants de l’UE feraient mieux de voir la situation dans son ensemble, de soutenir les progrès considérables réalisés par des pays comme l’Indonésie dans le domaine de la protection de la biodiversité, et d’apprécier l’incroyable augmentation du niveau de vie acquis par les populations des pays producteurs d’huile de palme en Asie du Sud-Est.
L’huile de palme a en effet sorti des millions de personnes de la pauvreté (un autre fait qui n’est pas contesté) et est essentielle pour atteindre plusieurs objectifs de développement durable des Nations Unies (lutte contre la pauvreté, la faim, les inégalités et promotion de la santé, de l’éducation et des bonnes conditions de travail).
Les agro-conglomérats du colza et du tournesol de l’UE peuvent-ils vraiment en dire autant ? N’est-il pas temps d’encourager les pays producteurs d’huile de palme comme l’Indonésie et de les respecter en tant qu’interlocuteurs ?
Plus de 15 millions de tonnes d’huile de palme durable ont été produites en 2019, à la demande de clients occidentaux ; c’est plus que suffisant pour approvisionner l’ensemble du marché européen en huiles végétales.
En tant qu’agronome, je sais à quel point ces transitions durables peuvent être difficiles et coûteuses dans les pays en développement. Si, après tous ces efforts déployés en Indonésie et ailleurs, l’attitude dénigrante des acteurs européens persiste, alors les petits planteurs et les industries vont simplement se lasser et se désengager de la durabilité. Cela n’aidera pas la planète.
Si la nouvelle Commission prend au sérieux son rôle géopolitique ; si son engagement envers les objectifs de développement durables des Nations Unies est sincère ; si elle veut réellement progresser sur les questions environnementales (et pas seulement par des postures vides de sens), alors la discrimination contre l’huile de palme d’Afrique et d’Asie doit cesser.