Qu’est-ce qui a changé de manière visible et/ou sensible dans les régions d’Europe de l’ouest? J’insiste sur le visible et/ou sensible, ce qui parle aux gens.
Dans ce billet j’aborde les vagues de chaleur et canicules, et les sécheresses. Je choisis une période de 113 ans, ce qui permet un peu de recul et quelques statistiques. Je la fais débuter avec l’année 1906.
Il y a eu plusieurs canicules ou vagues de chaleur exceptionnelles depuis environ 100 ans dans nos régions, advenant souvent en période de sécheresse prolongée, raison pour laquelle je les associe ici. Toutefois les durées des deux phénomènes sont très différentes et l’on peut avoir l’une sans l’autre.
L’intensité d’une vague de chaleur tient à la hauteur des températures mesurées et à sa durée. Il est possible que si l’on avait eu les moyens de mesure actuels, il y a 100 ans et plus, certaines vagues de chaleur passées pourraient rivaliser avec 2003 ou 2019. C’est grâce à un maillage serré de stations météo placées aux bons endroits que le record français absolu a pu être signalé récemment.
Les informations suivantes proviennent des archives de Météo-France, archivées sur le site de Météo-Paris.
Allons-y pour la mise en bouche:
1906. Après un printemps très chaud, l’été fut étouffant:
« août et septembre : grande sécheresse surtout sur la moitié sud - de très fortes chaleurs sont observées le 2 août avec un maximum de 39° à Bordeaux, 38° à Clermont et Angers, 37° à Lyon et 35° à Paris - d’autres chaleurs exceptionnelles se produisent début septembre. (…) octobre : exceptionnellement chaud - le 5 octobre, les températures sont partout comprises entre 25 et 30°. »
Les monstres
Ensuite mon top 4 du XXe siècle + 2003.
D’abord, la canicule de 1911 (tableau 1), de sinistre mémoire. Un immense coup d’assommoir. Selon Wikipedia: « Cette vague de chaleur provoque un surplus de 40 000 décès, dont 29 000 dans la petite enfance. »
Ensuite, deux tableaux récapitulatifs (tableaux 2 et 3). Un pour 1921:
L’autre pour 1947, qui a connu trois épisodes extrêmes dans le même été – dont un massif:
1983 figure également parmi les plus intenses, en durée du moins avec 19 jours consécutifs de type caniculaire. Je rappelle par principe et sans m’étendre l’été fou de 2003, dont chacun se souvient je pense. Il reste la référence post-1947.
Après ces cinq monstres (1911, 1921, 1947, 1983, 2003) voyons quelques autres phénomènes remarquables mais d’intensité ou de durée réduites.
17 août 1701
L’année 1929 vit aussi ses vagues de chaleur, dont une tardive:
« Du 26 août au 12 septembre : nouvelle vague de chaleur, concernant cette fois-ci toute la France - le 31 août, il fait 35° à Paris et Valenciennes, 36° à Lille et 37° à Châteauroux - le 4 septembre, on atteint encore 34° à Beauvais, 35° en région parisienne, 38° à Angoulême. »
1976 pourrait aussi être dans mon top. Elle avait déshydraté l’Europe de l’ouest. La chaleur s’est ajoutée à une sécheresse exceptionnellement longue. « De fin juin à la mi-juillet, tous les records de chaleur sont battus. Il faut remonter jusqu'en 1921 pour trouver de semblables conditions climatiques. »
D’autres vagues ou pics de chaleur sont documentés pour des époques plus anciennes, comme les 40° à Paris le 17 août 1701. Ou comme l’été 1793:
« Les grandes chaleurs commencèrent à paris le 1er juillet ; à Montmorency, après le 4. Elles augmentèrent si rapidement, que la journée du 8 figure déjà parmi les époques de leur maximum. (…) Le maximum de la chaleur a donné 38°4 le 8 juillet à l’Observatoire royal de paris, et 40° le 16 du même mois à l’Observatoire de la marine. »
Ici, ce site a repris des données de plus de 1000 ans sur les épisodes forts de chaleur ou de sécheresse en France.
Enfin l’image de La Chaîne Météo (image 5) synthétise visuellement les durées et intensités des vagues de chaleur majeures en France depuis 1947. Les plus courtes et moins intenses ne sont pas signalées. On en compte 6 sur 10 après l’an 2000, et 4 entre 1911 et 1983. Il y en a donc un peu plus depuis 20 ans mais pas forcément beaucoup plus intenses, malgré certains records. 1947 n’avait pas été tout-à-fait détrônée.
Cependant un autre visuel (image 6) de MétéoFrance, presque identique, ajoute des vagues de chaleurs plus courtes ou moins intenses, mais quand-même remarquables (2019 n’y est pas encore). Entre 1947 et 2015 on en compte alors 23 au total, dont 8 après l’an 2000 et les autres avant. Difficile d’y déceler une tendance, sans plus de détails sur l’ensemble des phénomènes afin de les comparer.
L’image 7 est presque identique. Elle s’arrête en 2014. Ici l’on a 21 vagues de chaleur ou canicules. Celles en rose datent de 1947 à 1980, soit environ 30 ans. 7 épisodes sont signalés. Celles en rouge foncé datent des 30 années suivantes. On signale deux fois plus d’épisodes. On pourrait en déduire une augmentation au moins en nombre.
Cependant ce découpage de deux fois trente ans est biaisé: de 1950 à 1980 on était en période de refroidissement.
Le fait de voir 2 épisodes extrêmes dans la même saison n’est pas rare non plus. Par exemple il y a eu trois épisodes chauds extrêmes en 1947.
Cliquer sur les images pour agrandir.
L’intérêt de se focaliser sur 100 ans est de voir des détails, par groupes d’années par exemple, détails que le passé ne livrera pas fautes de mesures quotidiennes.
Les canicules et les sécheresses me paraissent être des indices assez faibles du réchauffement – ou en inversant les choses: depuis 110 ans le réchauffement ne produit pas beaucoup d’événements réellement exceptionnels. 2003 est le grand événement.
En comptant les événements les plus intenses, soit la liste des 10 (image 5), il y en a 10 en 70 ans, soit donc probablement 15 en 100 ans. Ou une tous les 7 ans, pour les vagues extrêmes.
Mais une telle statistique ne vaut rien. Il y a des séries, des cycles, l’oscillation nord-atlantique. Celle-ci joue un rôle important dans la circulation des masses d’air, en particulier dans la remontée d’air chaud saharien.
Sur l’image 6, 23 épisodes ont été retenus, dont les 10 plus forts et quelques autres. 23 en 70 ans, cela devrait faire 35 en 100 ans, ou une tous les trois ans. Est-ce peu ou beaucoup? Plus ou moins qu’avant? Et l’après 2000 est-il marqué de manière plus intense par ces vagues de chaleurs, ou y sommes-nous plus sensibles et attentifs, en posture anxieuse?
Mais à quoi les comparer? Au nombre et à l’intensité de celles du passé, d’avant le XXe siècle? C’est problématique.
Car si des épisodes anciens sont documentés, on ne peut déduire des chroniques et registres agricoles l’intensité vraie en degrés de ces vagues de chaleur, en des périodes plus froides, ni les records éventuellement battus. Selon l’étude de Garnier cité plus loin, le XVIe siècle a connu 12 sécheresses avérées, soit une tous les 8 ans. Mais de quelle intensité précise?
On n’a pas suffisamment documenté les cycles naturels à part les cycles très longs d’origine astronomique. Par exemple on explique encore mal le PAG ou l’optimum médiéval. Donc on ne sait pas à quel moment de quel cycle nous sommes – si nous y sommes.
Néanmoins sur l’image 6, depuis 2000, une très légère prévalence des épisodes extrêmes semble se dévoiler. Mais la période choisie sur les images 5, 6 et 7 est entachée du biais déjà mentionné.
Il faudrait se transporter 100 ans en arrière avec les moyens actuels. On aurait les mêmes technologies et le même maillage des territoires.
Car il y a 113 ans les mesures étaient moins sûres qu’aujourd’hui et le maillage moins serré. On n’avait pas peur. Le grossissement médiatique n’avait pas pris le tour eschatologique d’aujourd’hui, où l’on annonce à chaque fois une possible fin du monde (j’exagère un peu mais pas tant).
Oui, le passé a vu des canicules terribles, même au PAG.
Mouvement général de réchauffement
Je trouve peu significatives les variations des vagues de chaleur. La période de 113 ans est au final trop courte pour tirer une tendance à peu près sûre et durable, et significative d’autre chose que des variations naturelles.
Un chercheur du CNRS, Emmanuel Garnier, a réalisé un recensement très fin des sécheresses et grandes chaleurs du passé sur 5 siècles. Sa méthode est pointue (sous réserve de sa référence à la courbe de hockey de Mann).
On voit les sécheresses sur le graphique 7, tiré de son document sur l’Île-de-France. On constate que les grandes sécheresses sont moins fréquentes au XXe siècle qu’aux XVIIe et XVIIIe. On constate aussi des variations irrégulières inexpliquées, sauf peut-être par des cycles naturels.
Garnier écrit aussi à propos de 1719:
« Evénement extrême emblématique d’un mouvement général de réchauffement, la sécheresse-canicule de 1719 a peu à envier à son homologue de 2003. »
1719 comparable à 2003! (Image 8, extraite du même document mais détaillant le seul XVIIIe siècle).
De ce qui précède je tire les éléments provisoires suivants:
- il y a eu dans le passé, sur plusieurs siècles, des sécheresses et vagues de chaleur identiques ou comparables aux plus fortes de ces dernières années;
- les grandes canicules passées ont déclenché le même stress de la population et une couverture médiatique (image 9, 1947) aussi dithyrambique qu’actuellement;
- les moyens de mesures sophistiqués actuels ont un effet loupe, grossissant; ils rendent difficile une comparaison équitable entre les épisodes actuels et ceux d’il y a 200 ou 300 ans, ou même 113 ans;
- il semble y avoir une légère tendance à davantage de vagues de chaleur intenses ces 20 dernières années (ce qui serait normal);
- en l’état ces phénomènes, s’ils peuvent être en légère augmentation à cause du fond général plus chaud de l’atmosphère, ne me paraissent pas signaler un réchauffement exceptionnellement rapide et dramatique. Nous avons pris un peu plus d’un degré depuis la fin du PAG. Cela n’a pas mis la Terre sens dessus-dessous. Il n’y a pas de Terre-étuve, pas de disparition de l’humanité. Nous nous portons même mieux. Ne l’oublions pas: le chaud c’est l’abondance, le véritable danger est le froid;
- on peut aujourd’hui constater des étés plus longs, un peu plus chauds, et depuis une trentaine d’année une prévalence des vents de sud-ouest sur l’Europe, vents qui favorisent le déplacement des masses d’air sahariennes vers l’Espagne et la France.
D’autres points seront abordés dans un prochain billet. Mais concernant les canicules ou vagues de chaleur, il n’y a pas le feu au lac. Ce qui a le plus augmenté en 113 ans me semble être la peur de l’événement plus que l’événement lui-même, ce malgré quelques records tombé ce mois de juillet.
À suivre prochainement.