MAJ du 23/04 : D'après la CIA, Huawei est financée par l'armée et le renseignement chinois.
Un article de recherche publié ce lundi revient sur la structure capitalistique de Huawei. Et postule que le constructeur chinois pourrait in fine être bien plus proche des autorités chinoises qu'il ne veut bien le laisser entendre.
"Fondée en 1987, Huawei est une société privée entièrement détenue par ses employés". Voilà comment la firme de Shenzhen définit sa forme sociale sur son site d'entreprise. Une explication de texte on ne peut plus limpide pour signifier l'une des spécificités du constructeur chinois par rapport à la concurrence, à savoir son statut de coopérative ouvrière non côtée, appartenant officiellement à ses plus de 188 000 employés ainsi qu'à sa direction.
Dans les faits, la situation semble toutefois loin d'être aussi claire, comme le soulève un article de recherche publiée ce lundi par deux universitaires, à savoir Christopher Balding, professeur associé d'économie à l'Université Fulbright au Vietnam, et Donald Clarke, professeur de droit à la faculté de droit de l'Université George Washington.
Consacré à la structure capitalistique adoptée par le constructeur chinois, l'article des deux universitaires, qui cherche à déterminer à qui appartient Huawei, remet en cause la version avancée par l'état-major de la firme chinoise, actuellement pointée du doigt par les Etats-Unis et certains de leurs alliés pour les liens étroits que celle-ci entretient avec Pékin. Fondé sur l'ensemble des informations rendues publiques par la firme, l'article contredit l'idée, par ailleurs déjà contredite par certaines informations de presse en Chine même, d'une entreprise détenue, selon son rapport annuel, à près de 99% par 96 768 actionnaires salariés.
Un actionnariat salarié qui pose question
Pour ce faire, les deux universitaires ont décortiqué les différents liens qu'entretiennent entre elles les quelques structures chapeautant le constructeur fondé par Ren Zhengfei, un ancien haut responsable de l'armée chinoise, à la fin des années 1980. Huawei Technologies, l'entreprise dont les produits font aujourd'hui les beaux jours des technophiles, prend la forme d'une société à responsabilité limitée unipersonnelle (l'une des deux formes les plus courantes de société sur le sol chinois).
Elle est détenue à 100% par une holding baptisée Huawei Investment & Holding Co, Ltd, qui n'emploi pour sa part qu'entre 100 et 499 salariés. "Par l'intermédiaire de Huawei Investment & Holding Co. ltd, nous mettons en œuvre un programme d'actionnariat salarié qui implique 96 768 actionnaires salariés. Ce régime est limité aux salariés. Aucun organisme gouvernemental ou organisation extérieure ne détient d'actions de Huawei", explique dans son dernier rapport annuel la firme chinoise pour qualifier cette structure, dont le fonctionnement demeure opaque.
Jurisprudence à l'appui, les deux chercheurs font pourtant pièce à l'idée selon laquelle ce sont les salariés de Huawei qui détiennent l'essentiel du capital de la firme de Shenzhen. "Les salariés des sociétés du groupe Huawei ne détiennent pas d'actions réelles de Huawei Technologies ou de Huawei Holding. Ils possèdent plutôt, par contrat, une sorte d'action virtuelle qui leur permet de participer aux bénéfices. Mais cette action virtuelle est un droit contractuel et non un droit de propriété ; elle ne confère à son détenteur aucun droit de vote ni dans Huawei Technologies ni dans Huawei Holding, ne peut être transférée et est annulée lorsque le salarié quitte l'entreprise, moyennant son rachat par Huawei Holding TUC fixé par cette dernière à un prix peu élevé", expliquent-ils avant que "cette propriété virtuelle n'a aucun lien avec le financement ou le contrôle" du groupe, mais qu'"il s'agit purement d'un système d'intéressement aux bénéfices".
Source : Christopher Balding, Donald Clarke
Passée la question de la nature des actions détenues par les salariés de Huawei, les deux chercheurs se penchent sur le haut de la pyramide. Comme ils l'indiquent Huawei Investment & Holding Co, Ltd est à son tour détenue à 1,14% par son fondateur Ren Zhengfei, et à 98,86% par une entité appelée Huawei Investment & Holding Company Trade Union Committee (Huawei Holding TUC).
Un comité syndical pour le moins opaque
"On sait très peu de choses sur la structure de gouvernance interne de Huawei Holding TUC - si ce n'est ce que disent ses documents constitutifs -, qui prend les décisions en son nom, ou même si c'est un syndicat, un organe intrasyndical (un comité syndical étant différent d'un syndicat), ou autre chose portant un nom totalement trompeur. Il est recouvert d'opacité", regrettent les deux chercheurs à l'origine de cette étude, qui voient dans cette structure la principale zone d'ombre de la structure capitalistique de Huawei.
Tout juste font-ils remarquer que cette structure, a priori de nature syndicale comme son nom l'indique, détient la quasi-intégralité des parts de Huawei Technologies tout en n'étant pas liée à cette dernière mais uniquement à Huawei Investment & Holding Co, Ltd, comme l'indique le schéma ci-dessus.
"Puisque Huawei Holding TUC est la seule entité autre que Ren Zhengfei à détenir des actions de Huawei Holding, l'unique propriétaire de Huawei Technologies, la clé pour comprendre la propriété du groupe Huawei est de comprendre Huawei Holding TUC. Il s'agit pourtant d'un exercice périlleux car il n'existe aucun document constitutionnel de Huawei Holding TUC accessible au public que nous pourrions consulter pour comprendre même ses structures de gouvernance officielles, sans parler de ses structures de gouvernance actuelles", font savoir Christopher Balding et Donald Clarke lors de leur démonstration.
En partant du principe que Huawei Holding TUC, qui détient l'essentiel des parts de Huawei, est lié à Huawei Investments & Holding Co, Ltd (qui emploie entre 100 et 499 salariés) et non à Huawei Technologies (qui emploie environ 188 000 salariés), les deux chercheurs postulent que le pouvoir décisionnaire au sein de Huawei est détenu par un groupe restreint de personnes, pouvant ne même pas être salariés de Huawei Investments & Holding Co, Ltd.
Si cette remarque tient lieu de supputation pour les deux chercheurs, ces derniers estiment que "la probabilité que Huawei Holding TUC soit en réalité contrôlée par les quelques centaines d'employés de Huawei Holding, à supposer qu'il s'agisse d'employés réguliers engagés dans la gestion des opérations de Huawei Holding et non de puissants initiés d'Huawei occupant ces postes comme une simple formalité, nous semble extrêmement faible".
En réalité, le pouvoir de décision se situe pour les deux chercheurs au niveau d'une commission syndicale représentative comptant, selon le dernier rapport annuel de Huawei, 115 membres, élus pour cinq ans par les deux actionnaires de Huawei, à savoir Ren Zhengfei et Huawei Holding TUC.
Huawei appelée à clarifier certaines de ses structures de gouvernance
Ces derniers élisent à leur tour un premier comité directeur (baptisé Board of Directors) de 17 personnes, actuellement présidé par le président tournant de Huawei Technologies Liang Hua, ainsi qu'un conseil de surveillance (ou Supervisory Board), actuellement dirigé par Li Jie et composé pour sa part de 10 membres également nommés par la commission représentative.
Si cette organisation peut sembler "relativement" limpide de prime abord, le diable se cache dans les détails, comme le soulèvent Christopher Balding et Donald Clarke qui pointent du doigt les conditions de nomination des 115 membres de la commission syndicale représentative. Bien que ces derniers doivent en théorie représenter les intérêts des 188 000 employés de Huawei Technologies, ils sont, selon la législation chinoise, élus non par les effectifs du constructeur mais nommés soit par la direction du groupe, soit par "l'organisation syndicale administrativement supérieure", c'est-à-dire par la direction centrale de la Fédération des syndicats de Chine (l'ACFTU), elle-même contrôlée par le Parti communiste chinois et dirigée par un membre du Politburo.
"Pour être bref, l'ACFTU n'est pas seulement un syndicat, mais elle est organisée - tant sur le plan juridique que pratique -, comme une organisation adjacente à l'État qui existe pour soutenir et exécuter les directives politiques de l'État", soulignent les deux chercheurs. Si Ren Zhengfei détient bien un pouvoir de veto sur les orientations stratégiques prises par Huawei, il semble toutefois que la société semble plus étroitement encore liée aux autorités de Pékin qu'elle ne veut bien le laisser entendre, comme l'expliquent les deux chercheurs, qui rappellent toutefois manquer d'informations précises sur la nature de la commission syndicale représentative et en appellent au constructeur chinois pour clarifier l'organisation de cette structure à la tête de la société.
"Si Huawei Holding est détenue à 99% par un véritable syndicat de type chinois qui gère le mode de fonctionnement des syndicats en Chine, il s'agit dans un sens non trivial d'un syndicat public. En Chine, les syndicats sont essentiellement des organes de l'État et, comme on l'a vu plus haut, si un syndicat est liquidé, ses actifs vont à des organes plus proches de l'État central, et non à des particuliers. S'il n'appartient pas à un véritable syndicat qui fonctionne comme les syndicats en Chine sont censés le faire, alors c'est sûrement à Huawei qu'il revient de le prouver. Les informations nécessaires à cette fin sont sous le contrôle de Huawei", concluent-ils en effet. Reste à voir si la firme de Shenzhen saura et voudra leur apporter les explications souhaitées.
Faute de quoi les craintes d'un certain nombre de gouvernements concernant les liens qu'entretient le constructeur chinois avec les autorités chinoises dans la perspective du déploiement des futurs réseaux 5G pourraient être ravivés. Alors que les doutes entourant la firme de Shenzhen s'étaient quelques peu apaisés ces dernières semaines, un rapport de 46 pages remis début avril au gouvernement britannique avait en effet déjà remis en question la sécurité de certains équipements du constructeur chinois, déjà accusé par les Etats-Unis et certains de ses alliés de constituer le cheval de Troie de Pékin dans les futures infrastructures 5G des pays occidentaux.
Une situation qui ne fait pas du tout les affaires de Huawei, qui, malgré un exercice 2018 réussi marqué par une augmentation de 25% de son bénéfice net, à 59 milliards de yuans (soit 8,7 milliards de dollars) et un bond de 20% de son chiffre d'affaires, à 105 milliards de dollars, a vu ses ventes d'équipements aux opérateurs de télécommunications - initialement son cœur de métier - reculer de 1,3 point, à 43 milliards de dollars...
NDLR : De là à penser que l'Etat chinois pourrait imposer des "backdoors" pour pouvoir agir sur ces clients il n'y a qu'un pas quand on connait la dictature (appelons un chat un chat) chinoise.