Situé sur le site de Cadarache à Saint-Paul-lez-Durance dans les Bouches-du-Rhône, ce projet de réacteur de fusion nucléaire ne vous est peut-être pas inconnu ! Et pour cause : ITER est tout bonnement à l'heure actuelle le projet scientifique le plus colossal au monde. Mais en quoi consiste-t-il précisément ? Quels en sont les avantages et les éventuels dangers ? Décryptage et réponses dans notre article.
C'est en pleine campagne, à environ 40 km au nord d'Aix-en-Provence, sur une surface s'étendant sur 42 Ha, que ce réacteur nucléaire un peu particulier est en train d'être érigé depuis déjà près de 10 ans.
Le plus grand programme de recherche scientifique mondial
ITER, acronyme de International Thermonuclear Experimental Reactor est un projet titanesque qui réunit huit membres englobant 35 pays : L'Union européenne et les États-Unis, mais aussi la Russie, la Chine, l'Inde, la Corée du Sud, le Japon, ainsi que la Suisse. Son objectif : « Démontrer la faisabilité de la fusion nucléaire comme mode de production massive d'énergie ».
Entériné le 21 novembre 2006 avec la signature de l'accord final à l'Élysée, la volonté de mettre sur pieds ce projet ne date cependant pas d'hier. L'idée initiale fut en effet proposée à François Mitterrand ainsi qu'à Ronald Reagan en 1985 par Mikhaïl Gorbatchev alors que l'URSS développait déjà des prototypes de Tokamak depuis les années 60. S'en est suivi une longue phase d'étude et de conception qui a notamment été retardée par le retrait des États-Unis en 1998, puis leur retour en 2003, également accompagné par la Chine et la Corée du Sud, puis par l'Inde un peu plus tard.
« Le chantier d'ITER est l'un des plus grands ouvrages de génie civil en cours de construction en Europe »
Le choix du site de Cadarache pour la construction d'ITER fut approuvé en 2005, le pays hôte (la France) est censé supporter 40 % des dépenses. Le budget a quant à lui vu sa dotation doublée puisqu'il est passé de 10 milliards d'euros en 2008 à près de 20 milliards en 2016.
Lancé en 2010, le chantier d'ITER est depuis l'un des plus grands ouvrages de génie civil actuellement en cours de construction en Europe. Plus de 2 000 ouvriers s'affairent chaque jour sur ce site qui accueillera le plus grand programme de recherche scientifique mondial, mais aussi certainement l'un des plus ambitieux et complexes, celui de reproduire les réactions physiques qui ont couramment lieu au sein du soleil et des étoiles.
Qu'est-ce que la fusion nucléaire ?
La fusion est une réaction nucléaire qui, au même titre que la fission, modifie la composition du noyau, à la différence toutefois qu'il ne s'agit pas d'un noyau lourd qui se brise, mais de plusieurs noyaux légers qui fusionnent afin de créer des atomes plus lourds. À l'état naturel, la fusion est l'un des phénomènes qui se produisent au sein des étoiles et qui les alimentent en énergie.
On la désigne alors sous le nom de nucléosynthèse stellaire. Avec les conditions extrêmes qui y règnent (pression, températures), les atomes d'hydrogène qui composent majoritairement les étoiles entrent en collision puis fusionnent pour former des atomes d'hélium. Cette combustion d'hydrogène libère une quantité d'énergie considérable, celle-là même à l'œuvre au cœur même du Soleil et qui éclaire chacune de nos journées depuis la nuit des temps !
Le projet ITER entend parvenir à maîtriser ce processus sur Terre grâce au Tokamak - dont nous parlerons un peu plus en détails ensuite - et ainsi être en mesure de produire massivement de l'énergie.
Les avantages de la fusion nucléaire
Le défi est immense, tout autant que le sont les enjeux de ce projet puisque le processus de fusion nucléaire permettrait de produire de l'énergie en quantité bien plus importante qu'avec un simple réacteur nucléaire, mais surtout de réduire significativement la production de déchets dont le rayonnement radioactif sera bien moins élevé et sur un laps de temps relativement court.
Les atomes pressentis pour produire une réaction de fusion nucléaire au sein du tokamak sont deux isotopes de l'hydrogène : le deutérium et le tritium. Pour rappel, l'isotope d'un élément chimique est un atome qui possède le même numéro atomique et donc les mêmes propriétés chimiques, ou presque, que l'élément initial (même nombre de protons et d'électrons). Ici, c'est le nombre de neutrons, particules composant le noyau, qui varie. Par conséquent, la masse atomique d'un isotope est différente de son élément chimique initial, et ses propriétés physiques ne sont pas identiques - contrairement à ses propriétés chimiques.
L'utilisation de ces atomes présente de nombreux avantages. Tout d'abord, le deutérium n'est pas radioactif et ses ressources sont pour ainsi dire inépuisables. On le retrouve en effet dans l'eau douce mais aussi dans l'eau de mer, il est ainsi possible d'extraire 33 grammes de deutérium dans chaque mètre cube d'eau de mer grâce à une séparation isotopique bien maîtrisée et connue sous le nom de Procédé de Girdler.
Le tritium est quant à lui bel et bien radioactif, mais sa période radioactive (demi-vie) n'est que de 12 ans. Bien que le tritium soit très rare à l'état naturel, il peut être produit par irradiation du lithium, un métal alcalin présent en grande quantité dans la croûte terrestre. Pour commencer sa phase d'exploitation, ITER utilisera néanmoins un stock de tritium provenant de rejets de réacteurs nucléaires à eau lourde pressurisée comme c'est le cas avec le réacteur canadien CANDU.
« Contrairement à la fission nucléaire, la fusion ne produit aucune émission de CO2 »
Enfin, outre des ressources quasiment inépuisables et la production de déchets radioactifs à faible activité (les matériaux d'ITER pourront être recyclés 100 ans après l'arrêt de l'installation), la fusion nucléaire ne produit aucune émission de CO2. La seule émission sera celle d'hélium, un gaz pratiquement inerte et non toxique.
À titre de comparaison, la fission nucléaire, qui consiste à scinder des atomes de plutonium ou d'uranium, produit des déchets extrêmement dangereux qui peuvent, pour certains, rester radioactifs durant plusieurs milliers, voire millions d'années. Il en va de même pour les résidus de traitement miniers dont l'uranium a été extrait.
Ces déchets nécessitent des structures d'enfouissement extrêmement complexes (confinement géologique) et bien que leur gestion soit très rigoureuse, ils restent vus par les citoyens et par de nombreux chercheurs comme une sorte de « cadeau empoisonné » pour les générations futures. La fission nucléaire participe par ailleurs également aux émissions de CO2, notamment pour l'extraction des matières premières.
Bien entendu, les émissions de CO2 des centrales nucléaires restent bien en-deçà d'une centrale au gaz ou au charbon ; elles sont comparables à celles des énergies renouvelables.
Il est légitime de se poser de nombreuses questions concernant la fusion nucléaire et ses éventuels dangers. Les accidents qui ont eu lieu ces dernières années, notamment Fukushima et Tchernobyl, ont laissé une trace indélébile dans l'histoire de l'humanité. Les peurs concernant la fission nucléaire restent donc fondées, même si les installations nucléaires ainsi que les sites d'enfouissement dans le monde sont strictement contrôlés. Seulement, en ce qui concerne la fusion nucléaire et les projets comme celui d'ITER, le danger d'un emballement nucléaire (réaction en chaîne) peut être écarté.
Aucun accident du type de Fukushima n'est envisageable avec un réacteur de fusion : le plasma obtenu dans un tokamak étant très difficile à produire, le moindre incident entraîne automatiquement l'arrêt de la réaction.
« Les risques sismiques sont souvent mis en avant par les détracteurs du projet »
Néanmoins, un réacteur de fusion nucléaire n'est pas sans danger, les risques sismiques sont d'ailleurs souvent mis en avant par les détracteurs du projet. Les autres arguments souvent évoqués concernent le facteur d'inconnu qui règnent avec le projet Iter qui, ont le rappelle, vise à « prouver la faisabilité scientifique et technique de la fusion nucléaire comme nouvelle source d'énergie ».
Ainsi, les opposants au projet remettent en cause l'éventuelle instabilité du tokamak qui pourrait résulter de la grande difficulté à y maintenir un plasma à très haute température. Selon eux, le phénomène de « disruption » serait en mesure de provoquer un conséquent préjudice sur l'installation et notamment sur ses parois contenant du béryllium, un métal toxique dont le point de fusion est seulement de 1 280 °C.