Des « scientifiques et universitaires » — mes collègues, donc — lancent un énième appel à sauver la planète du vilain climat qui menace. Particulièrement mal écrit, leur texte prouve une fois de plus, si besoin était, qu’études supérieures et carrières académiques ne garantissent en rien la qualité de la pensée.
Ce n’est pas une nouveauté : les inquiets du climat ne reculent ni devant les propos antidémocratiques (tel François-Marie Bréon dans Libération), ni devant le ridicule. Leur grande spécialité : les « appels » en tout genre, dont la liste occuperait un gros volume.
L’appel du jour émane donc de scientifiques et universitaires qui, fidèles à une tradition établie, se contentent de se lamenter et de désigner quelques méchants à la fois faciles (les « actuels détenteurs du pouvoir économique, ceux pour qui seul compte de vendre plus ») et suffisamment abstraits pour esquiver la question de savoir qui exactement ces méchants sont supposés être — ici, qu’on se le dise, il s’agit de l’indémodable « néolibéralisme débridé ».
Aussi mal ficelé que les autres du même genre, cet appel donne la pire image possible des chercheurs, en les présentant comme des geignards agités, des gosses capricieux qui n’ont pas ce qu’ils veulent et qu’une fureur puérile pousse à casser leurs propres jouets.
Mes collègues se proposent donc de faire la « grève » (« climatique » comme il se doit) pendant une journée. On suppose qu’il s’agira pour eux de ne pas faire de science ce jour-là. On peut parier sans grand risque que la science s’en remettra, en revanche on apprécie beaucoup moins que des chercheurs utilisent l’aura que leur confère leur position académique pour encourager lycéens et étudiants à faire eux aussi la « grève » pour un pareil motif.
Chers collègues, avant de sauver la planète un lycéen ou un étudiant a pour vocation d’apprendre. C’est de cette manière qu’il se forgera un avis éclairé sur le monde et pourra prétendre le changer pour le meilleur. Certes, apprendre est difficile, exigeant. Apprendre est moins rigolo que se balader dans la rue en criant des slogans simplistes. Or précisément ce sont les professeurs que vous êtes qui, par la qualité de leur enseignement, devez permettre aux lycéens et aux étudiants de prendre conscience de l’importance d’apprendre. Seuls des professeurs ayant renié leur vocation au profit de l’exercice d’un magistère moral parfaitement illégitime peuvent oser inciter des jeunes à se détourner du travail scolaire et universitaire en les appelant à les suivre dans leur militantisme, quel qu’il soit.
Les enseignants signataires de cet appel expriment donc qu’ils ne croient plus à la valeur de l’enseignement. Ils trahissent leur mission, tout comme les chercheurs signataires, qui ne devraient pas ignorer que leur rôle n’est pas de « sensibiliser les décideurs » mais de faire progresser les connaissances.
Chers collègues, je parie que signer cet appel n’a pas suscité chez vous trop d’angoisse pour votre situation personnelle. Vois savez pertinemment que nul dans votre milieu ne vous causera d’ennuis. En plus, votre cause est irréprochable, pensez donc : il s’agit de sauver la planète ! Dans ces conditions, pourquoi se gêner ? C’est donc en toute bonne conscience que vous, en majorité des fonctionnaires de l’État, pouvez « comprendre » (au sens d’approuver) un « mouvement de désobéissance civile ». Vous auriez tort de vous priver d’être braves en paroles : il est si doux d’afficher du courage quand on ne risque rien !
« Nous entendons déjà ceux qui crieront au scandale de la politisation du savoir. Quelle hypocrisie et quel cynisme ! », vous indignez-vous par avance en héroïques révolutionnaires du clavier ?
Permettez-moi de vous rassurer sur ce point : chacun doit convenir que vous ne politisez pas le savoir. En effet, si la politique est bel et bien présente au travers de votre volonté d’exercer du pouvoir, le savoir, lui, n’apparaît nulle part dans votre appel. Seule y figure sa négation.