Emmanuel Garnier est historien du climat et directeur de recherche au CNRS.
Voici quelques extraits d'une étude qu'il consacra au "Sociétés méditerranéennes à l'épreuve du climat 1500-1850", extraits qui permettent de relativiser certains phénomènes météorologiques actuels. (1)
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En revanche, l’observation effectuée sur le temps long écorne sérieusement le caractère « nouveau » de notre actuelle phase de Global Warming.
En effet, deux pics thermiques se dessinent nettement, dont les niveaux rivalisent avec la crête du réchauffement en cours.
Le premier correspondrait à un pas de temps compris approximativement entre 1665 et 1680 et le second, plus long, aux années 1700-1725.
La première séquence est avérée dans les sources archivistiques avec des printemps et des étés plutôt ardents et à la clef, une succession de sécheresses qui se traduisent par les étiages des cours d’eau et le tarissement des fontaines publiques.
Très nombreux eux aussi, les embâcles des fleuves ne doivent pas faire illusion sur la température ambiante.
Dans leurs délibérations, les capitouls et consuls ne manquent pas de souligner que les eaux, à l’approche de l’hiver, sont anormalement basses.
Ces faibles débits favorisaient certainement le gel du cours d’eau dès l’arrivée des premiers frimas.
Les reconstructions de températures effectuées à cette occasion montrent que la température aurait augmenté de 1,8° C entre 1674 et 1684 au beau milieu du minimum de Maunder8.
Plus étonnant encore, est le niveau de température atteint à la fin du xviie siècle et qui équivaudrait sensiblement à celui des années 1990.
L’honnêteté intellectuelle commande néanmoins de préciser que cette poussée est de bien moindre durée que celle enregistrée par Météo France depuis 1980 (+ 1,8 °C jusqu’en 2000).
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D’emblée, il convient de souligner le caractère permanent du sentiment de « changement » météorologique au cours des cinq derniers siècles.
Les bases de données établies pour différentes régions de France attestent toutes, statistiques à l’appui, la certitude de nos ancêtres d’avoir assisté, à un moment ou à un autre, à un dérèglement général du climat.
Les « dérèglements du temps », que nous appellerions aujourd’hui les événements extrêmes, alimentent un discours millénariste à l’image du petit notable de Toulouse Pierre Barthès qui prétend se faire l’écho du sentiment général en matière de météorologie au tournant des années 1760.
Constatant la succession des sécheresses printanières et estivales et des inondations de la Garonne en raison de précipitations automnales et hivernales toujours plus soutenues, il dénonce avec véhémence les « saisons depuis longtemps confondues », ainsi que « les monstruosités (événements extrêmes, invasion d’insectes) de toute espèce multipliées à l’infini… ».
Loin du principe qui voudrait que la mémoire des anciens soit plus fiable que celle de nos contemporains, les exemples archivistiques abondent pour témoigner de la relativité de la mémoire humaine en matière climatique.
Des calculs opérés à partir de la base de données méridionales montrent que l’espérance de vie moyenne d’un événement anormal, entre 1500 et 1900, est de l’ordre de 2 à 5 ans tandis que les phénomènes plus catastrophiques comme les inondations ou les sécheresses majeures survivent généralement dans les mémoires une trentaine d’années.
Ce dernier pas de temps ne doit pas surprendre quand on sait que l’espérance de vie moyenne était de l’ordre de 28 ans vers 1750.
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Face à ce qui fait figure de « nouveauté » dans les médias, la migration dite « climatique » est également un facteur de permanence historique.
Les archives révèlent que le bassin méditerranéen fut affecté dans les années 1610-1615 par une sécheresse sans précédent dont les conséquences sociales furent largement plus dramatiques que les pires scenarii imaginés aujourd’hui.
Inscrite dans la plaque de marbre des processions pro pluvia de la cathédrale d’Erice en Sicile, elle est aussi signalée dans les archives ibériques et languedociennes (Piervitali et al., 2001).
Privée d’eau, la ville de Barcelone opte pour la construction de moulins à vent et exhume de ses archives des plans pour capter des sources depuis le Llobregat au moyen de coûteux canaux
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Alors que l’on ne cesse de mettre en avant la vulnérabilité particulière et croissante du bassin méditerranéen à l’heure du changement climatique et d’une anthropisation galopante, en raison de son développement démographique et économique, le recours à l’expérience historique puisée au cœur des archives produites par les hommes apparaît comme une impérieuse nécessité.
De facto, l’approche historique est un préalable pour qui veut prendre en compte à la fois la dimension culturelle du fait climatique et la prise en charge des risques engendrés par la nouvelle donne environnementale.
Elle est à même d’évaluer plus précisément ses impacts pour déboucher sur la création d’outils d’aide à la décision dans le cadre de politiques globales de prévention et de gestion des crises futures.
Les exemples développés dans cette contribution montrent à l’envi quelles incidences purent avoir les accidents climatiques du passé sur les sociétés méditerranéennes et leurs environnements.
Cette réalité illustre la nécessaire sauvegarde d’une culture de la « conservation » fondée sur la capacité d’une communauté à acquérir et à développer, à travers l’histoire, la mémoire de son propre héritage en matière de survie.
Sa préservation serait probablement très utile pour la création d’un système d’adaptation aux enjeux climatiques futurs.
(1) https://soe.revues.org/651
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