L’énergie nucléaire continuera à jouer un rôle significatif dans le futur bouquet énergétique mondial, mais une meilleure valorisation de l’uranium sera nécessaire dans de nouveaux réacteurs pour poursuivre au-delà de ce siècle.
En effet, les réserves mondiales actuelles sont d’environ 100 ans pour les réacteurs nucléaires actuels à « neutrons lents » (dits aussi « thermiques ») car ils utilisent seulement moins de 1 % (0,6%) du potentiel énergétique contenu dans l’uranium naturel.
Même en recyclant une fois les matières fissiles valorisables (uranium et plutonium) encore présentes dans les combustibles usés, comme c’est le cas actuellement en France, cette valeur atteint à peine 0,8%.
Aujourd’hui, il n’est pas souhaitable ni techniquement, ni économiquement, de recycler plusieurs fois le combustible dans ce type de réacteurs car des éléments non fissiles et radioactifs s’accumulent.
Ils rendent les manipulations de plus en plus difficiles et sont nuisibles à la réaction nucléaire.
Or, il existe des réacteurs « à neutron rapides » (RNR) dits « régénérateurs » ou « surgénérateurs » qui permettent de valoriser prés de 100% de l’uranium naturel avec un multi-recyclage.
Le rendement est donc multiplié par plus de 100 (cent)… et les réserves aussi !
Ces RNR permettent des milliers d’années de production d’électricité dans le monde uniquement avec les réserves connues d’uranium (et aussi de thorium).
Ces réacteurs constituent la clef de voûte d’un nucléaire durable pour succéder, au moins partiellement, aux énergies fossiles dans le monde.
Le miracle de la « régénération »
L’uranium naturel extrait des mines contient deux types d’uranium qui ont un comportement différent dans la réaction nucléaire :
1) l’uranium 235 (U235) en faible quantité (0,7%). C’est lui qui permet actuellement de démarrer et d’entretenir la réaction nucléaire de fission après avoir été concentré jusqu’à environ 4% dans l’uranium naturel.
L’U235 est aujourd’hui le seul élément « fissile » disponible naturellement sur terre capable de démarrer une réaction nucléaire de fission.
2) l’uranium 238 (U238) majoritaire (99,3%).
Mais il ne fissionne pas, ou mal (2% à 3%), dans les réacteurs actuels dits « thermiques » ou « à neutrons lents ».
Il doit d’abord être transformé en plutonium fissile (par capture de neutrons provenant des réactions de fissions de l’U235).
L’U238 n’est donc pas un élément directement fissile.
Il est dit « fertile » ou « fissionable ». Il a besoin de l’U235, ou du plutonium, pour fissionner.
Or, les réacteurs à « neutrons rapides » (RNR) ont la propriété remarquable de transformer facilement l’U238 en plutonium, fabriquant ainsi leur propre combustible (le plutonium).
Il n’y a donc plus besoin de rajouter d’U235, ni de plutonium dans ces réacteurs pendant la durée de leur fonctionnement (60 ans au moins).
Tous les 5 ans, les produits de fission doivent être retirés pour remettre de l’U238, dont on dispose en grande quantité.
Ainsi, en France, au lieu d’importer 8000 tonnes d’uranium naturel par an (coût 800 M€), il suffirait de prélever seulement 60 tonnes d’U238 par an dans nos stocks (c’est la masse fissionnée annuellement en France pour produire 75% de notre électricité).
Or, 450 000 tonnes d’U238 issues du traitement de l’uranium naturel seront disponibles sur le sol français en 2040, soit … plus de 7000 ans de réserve !
Actuellement dans le monde, près d’une dizaine de RNR ont déjà fonctionné depuis 1960, dont trois en France. Quatre sont actuellement en service. D’autres sont en construction ou en projet.
Pourquoi ces RNR ne sont-ils pas davantage développés ?
Bien qu’environ 450 réacteurs à « neutrons lents » soient en service dans le monde, 60 autres en construction, notamment en Chine, et plus d’une centaine en projets, les RNR ne sont pas encore répandus pour principalement quatre raisons, dont deux sont techniques et deux autres économiques :
1) il faut « allumer » la réaction nucléaire avec un uranium très enrichi en uranium 235 (plus de 20%), ou avec du plutonium… qui est produit dans des réacteurs actuels « à neutrons lents ».
Or, il leur faut environ 50 ans de fonctionnement pour produire le plutonium nécessaire au démarrage, et au fonctionnement, d’un RNR de même puissance,
2) ces RNR sont plus compliqués et plus chers à construire, ce qui aboutit à un coût de production de l’électricité de 30% à 50% plus élevé qu’avec les réacteurs « lents »,
3) jusqu’à aujourd’hui l’uranium naturel est bon marché (100€/kg) et représente moins de 5% du coût de production de l’électricité qui est de 4 à 6 c€/kWh avec les réacteurs actuels, ce qui ne favorise pas l’économie de l’uranium et le développement des RNR,
4) pour le siècle à venir, il n’y aura pas de pénurie d’uranium.
Ces quatre raisons amènent les producteurs d’électricité à préférer le moyen de production aujourd’hui le plus compétitif, c’est-à-dire « à neutrons lents » comme l’EPR.
Peut-on faire des réacteurs nucléaires sans uranium ni plutonium ?
Oui et… non.
La transformation d’uranium en plutonium décrite ci-dessus est identique à celle du thorium 232 en uranium 233.
Ce dernier élément est aussi fissile.
L’Inde par exemple s’oriente plutôt dans cette voie car son sous-sol contient beaucoup plus de thorium que d’uranium.
Mais pour allumer un réacteur « thorium », il faut aussi disposer initialement d’une « allumette » fissile qui peut être soit de l’U235, soit… du plutonium.
Ensuite, le thorium 232 se transforme en uranium 233 fissile qui entretient la réaction nucléaire de la même manière que le « couple » uranium 238 – plutonium 239.
Que faire en France ?
En 2040, la France disposera de 400 tonnes de plutonium contenu dans ses combustibles usés entreposés.
Cette quantité est suffisante pour engager à cette date le déploiement de 16 RNR de 1450 mégawatts (soit 23 GW), soit plus du tiers du parc électronucléaire actuel (63 GW fournis par 58 réacteurs).
Avant ce déploiement, il faudrait disposer d’un RNR industriel tête de série en 2040, puis un autre en 2050 avant de débuter un développement régulier (un RNR par an).
Cette progression est raisonnée. La France a livré jusqu’à sept réacteurs nucléaires par an au début des années 1980.
En France, 90 % de l’électricité est produite sans consommation d’énergies fossiles (et donc aussi sans émission de gaz à effet de serre) grâce principalement au nucléaire (75%) et à l’hydraulique (10%).
Afin de ne pas hypothéquer l’avenir, il est essentiel de préserver cet atout nucléaire et de se prémunir contre d’éventuelles tensions sur le marché de l’uranium naturel (prix, disponibilité) au-delà de 2050.
Il faut donc maintenir notre industrie nucléaire au plus haut niveau en anticipant le renouvellement de notre parc électronucléaire.
De plus, cette compétence permettra éventuellement aussi, le moment venu, d’exporter notre savoir-faire dans le monde entier, et de faire face à la concurrence qui se prépare (Russe, Inde, Chine, Etats-Unis).
En parallèle avec le parc actuel, il est d’une importance stratégique que la France développe un démonstrateur français de RNRvers 2020, puis un RNR « tête de série » vers 2040 afin d’introduire ensuite un parc de surgénérateurs capables de valoriser les milliers d’années de réserve d’uranium 238 déjà présents sur le sol français.
- Les chiffres sont principalement extraits des cinq tomes (n° 1 à 5) du CEA / Direction de l’énergie nucléaire de décembre 2012 sur les réacteurs de 4e génération.
- Ils s’appellent « surgénérateurs » lorsqu’ils produisent plus de plutonium que nécessaire à leur fonctionnement (ce qui permet ultérieurement de démarrer d’autres RNR).
- Principalement du Pu239 et Pu241.
- Malgré cette difficulté à fissionner, l’U238 produit tout de même actuellement un tiers de la chaleur dans les réacteurs http://www.world-nuclear.org/info/nuclear-fuel-cycle/fuel-recycling/plutonium/
- ANDRA : Inventaire national, juin 2012. Déjà 300.000 tonnes d’U238 sont déjà aujourd’hui stockées en France, soit 5000 ans de réserve.
- Rapsodie (1967-1983), Phénix (1973-2010) et Superphénix (1985-1998) en cours de démantèlement.
- BN-600 (1980) et BOR60 (1969) en Russie, FBTR (1985) en Inde, CEFR (2011) en Chine.
- AIEA : http://www.iaea.org/PRIS/WorldStatistics/UnderConstructionReactorsByCountry.aspx
- Comme ce fut le cas avec Phénix, et comme les russes aussi l’ont fait.
- Il faut environ 25 tonnes de plutonium « en cycle » par réacteur de 1500 MW pour faire deux cœurs : l’un est en fonctionnement pendant 5 ans, tandis que l’autre est en traitement / recyclage sur une durée égale de 5 ans (document de synthèse du CEA n°5 décembre 2012, page 20).
- CEA n°1 décembre 2012, page 35.
- GW = gigawatt = 1000 Mégawatt
-
Des études sont en cours pour construire ce démonstrateur de RNR nommé « ASTRID » :
http://www.cea.fr/energie/astrid-une-option-pour-la-quatrieme-generation/astrid-des-options-technologiques-en-rupture