Quel avenir pour la fusion ? De toute évidence, son avènement constituerait une solution viable et radicale à notre problème d’énergie. Mais les pronostiqueurs les plus optimistes ne voient pas sa généralisation avant plusieurs décennies.
C'est donc pour l'instant un domaine très proche de la recherche fondamentale, qu'il faut certainement poursuivre, mais qui ne saurait jouer un grand rôle dans les problèmes qui vont survenir dans les prochaines années - les plus déterminantes pour notre survie.
De toutes les sources d’énergie future potentielles, reste la plus sulfureuse ou plutôt la plus radioactive, de toutes : le nucléaire.
Sur ce point il est à noter que nos auteurs "optimistes" souvent cités dans ce dossier, Ramez Naam et Stewart Brand, se se montrent plutôt favorables à l'usage de l’énergie nucléaire, rejoignant ainsi un écologiste célèbre, James Lovelock, le père de "l'hypothèse Gaïa". Je ne reviendrai pas sur leurs arguments, qui n'apportent rien d'original au débat (ils peuvent être résumés par la formule : "Tout plutôt que le carburant fossile") et qui convaincront les convaincus en laissant les autres de marbre.
Que se passerait-il si l'on pouvait utiliser l’énergie atomique sans risque d'accident majeur ni de pollution, sans limites de ressources ?
C'est le rêve de la fusion nucléaire, assez ancien, mais qui voit ces temps-ci se développer autour de lui une multitude de projets et d'acteurs nouveaux.
Un "morceau de soleil"
La fusion est un procédé très différent de la fission utilisée actuellement dans les centrales. Pour celle-ci, on utilise un matériau constitué de gros atomes comme l'uranium 235 (composé de 92 protons et de 143 neutrons), qu'on bombarde de neutrons. Lorsque l'atome d'uranium reçoit un neutron, explique un très pédagogique article de Wired, il se transforme en uranium 236, qui est instable et se brise en plusieurs parties.
Il produit alors du krypton 92, du baryum-141 et deux neutrons "libres". Si le nombre de particules élémentaires est bien respecté (141+92+2), la masse résultante se révèle, étrangement inférieure à celle de l'atome originel. C'est que cette masse manquante a été convertie en énergie (E=MC², vous vous rappelez ?), laquelle pourra être utilisée dans les centrales pour fournir de l'électricité.
Les deux neutrons "libres" quant à eux, entreront en collision avec les d'autres atomes d'uranium pour continuer le processus, c'est ce qu'on appelle la réaction en chaîne.
La fusion fonctionne de façon exactement inverse : au lieu de casser de gros atomes, on réunit des petits atomes en les cognant les uns contre les autres. Lorsque deux atomes fusionnent, la masse résultante est, comme dans la fission, inférieure à celle des deux atomes originaux. Là encore, de l’énergie a été libérée lors de l'opération.
Cette opération de fusion se déroule naturellement au sein des étoiles. Un soleil commence son existence sous la forme d'un nuage d'hydrogène. L'hydrogène est l'élément atomique le plus simple constitué seulement d'un proton et d'un électron. Les collisions permettent la formation de deutérium (une forme d'hydrogène dotée d'un neutron au sein au sein du noyau), puis celui-ci va se combiner avec l’hydrogène pour produire de l’hélium-3, lequel va à nouveau fusionner pour générer de l’hélium-4, etc.
Si vous désirez comprendre tous les mécanismes de la fusion à l’œuvre au sein des étoiles, le mieux est de jouer à ce jeu, variation du célèbre 2048, grâce auquel vous pourrez aisément intégrer toutes les règles de la fusion stellaire.
On y découvre qu'il existe des contraintes assez précises, par exemple que deux atomes de deutérium ne peuvent pas fusionner entre eux ou que l'oxygène s'obtient impérativement par la fusion de l’hélium-4 et du carbone... Le but est d’arriver à produire du fer, l'élément le plus lourd qui puisse naître à l'intérieur d'une étoile.
Comment procède-t-on à la fusion artificielle ? Le journaliste scientifique de Science, Daniel Clery (@DanClery), dans son livre A Piece of Sun ("un morceau de soleil" serait effectivement ce qu'on obtiendrait avec la fusion contrôlée), explique qu'on n'utilise pas comme dans la nature, un atome d'hydrogène et de deutérium, mais plutôt du deutérium et du tritium.
Ce dernier est encore un isotope de l'hydrogène possédant cette fois deux neutrons. Premier avantage de la fusion, le deutérium, contrairement à l’uranium, est facile à trouver. Dans l'eau de mer, un atome d'hydrogène sur 6 700 est en fait du deutérium. Le tritium, explique-t-il, est plus difficile à produire, il n'en existe pas dans la nature.
Mais on peut en créer aisément à partir de lithium. Si l'on bombarde celui-ci avec des neutrons, il se divise en tritium et en hélium. Clery n'est pas inquiet quant à une éventuelle pénurie de lithium. Il y en a suffisamment dans les roches pour plusieurs centaines d'années, et si on prend en compte celui qu'on peut extraire des océans, ce chiffre monte à plusieurs millions.
"Le lithium obtenu à partir d'une seule batterie d'ordinateur portable et le deutérium extrait de 45 litres d'eau pourrait générer suffisamment d'électricité grâce à la fusion pour satisfaire les besoins énergétiques d'un consommateur britannique pendant trente ans", remarque-t-il.
Peu de chances d'accident en outre, continue Clery : le plus souvent, si un dysfonctionnement intervenait, le réacteur stopperait de lui-même. Et dans le cas très improbable où se produirait une réaction en chaîne, celle-ci s’arrêterait au bout de quelques secondes parce que le réacteur de fusion ne posséderait en son sein que très peu du carburant nécessaire à son fonctionnement.
C'est le contraire avec les centrales à fission, qui intègrent en leur cœur plusieurs années de carburant. Il est vrai que le tritium est radioactif, mais il serait fabriqué sur site et la centrale en posséderait très peu. De plus, s'il s'échappe, étant une forme d'hydrogène, il aura tendance à s’élever tout de suite vers la stratosphère. Conséquence, selon Clery, en cas d'accident, il n'y aurait aucune raison d'évacuer les populations comme il a fallu le faire à Fukushima.
Et les déchets ? Là encore, il n'y a pas photo avec la fission. Le principal d'entre eux serait l'hélium, gaz inoffensif qui sert à gonfler des ballons. Toutefois admet Clery, après des années de bombardement neutronique, les métaux au cœur de la centrale se retrouveraient légèrement radioactifs.
Lors du démantèlement il conviendrait de les enterrer pendant quelques dizaines d'années, après quoi ils pourraient être recyclés. Mais pas question d'attendre des millions d'années, comme c'est le cas avec la fission.
Puisque la fusion apparaît comme la solution à tous nos problèmes énergétiques, qu'attend-on pour s'y mettre ? C'est là que le bât blesse. Il est très difficile de produire un tel "morceau de soleil" avec les moyens actuels.
Des projets pharaoniques
Pour mettre en œuvre cette opération, il faut s'arranger pour que les atomes, sous l'impact de la température ou de la pression, connaissent des collisions suffisamment violentes pour pouvoir fusionner entre eux. En effet, les atomes tendent à se repousser mutuellement, à cause des forces électromagnétiques. Il faut donc contrecarrer ce comportement habituel par de très hautes énergies, capables de passer outre ces contraintes de l’électromagnétisme.
La première étape du travail consiste à créer du plasma, comme il en existe au coeur du soleil. Le plasma, c'est un état de la matière qui intervient lorsque les collisions violentes entre atomes arrachent les électrons de leurs orbites laissant seuls les noyaux des atomes. Ensuite, il faut pouvoir confiner ce plasma. C'est la seconde grande difficulté. Enfin, il faut chauffer le plasma pour obtenir les réactions de fusion entre les noyaux.
On sait déjà obtenir le plasma. Les projets actuels travaillent surtout sur le confinement.
Il existe plusieurs technologies de réacteurs, qui portent les noms poétiques de Tokamak, Spheromak, Dynomak ou Stellarator.
Tous partagent le même but. Soumettre les atomes à de fortes températures ou à une énorme pression et confiner le plasma obtenu. Le plus connu de ces projets est actuellement en cours de construction dans le sud de la France, à Cadarache, sous une égide internationale. C'est le fameux projet ITER (pour International Thermonuclear Experimental Reactor). Toujours selon Clery, il s'agit de l’expérience scientifique la plus coûteuse jamais entreprise. Entre 13 et 16 milliards de dollars soit deux fois plus que le LHC. Le livre de Clery date de 2014. On parle plus volontiers aujourd'hui de 20 milliards, voire de 50.
>Après une multitude de retards, le réacteur devrait être prêt vers 2030... et il s'agit juste d'une expérience scientifique : en fait, l'engin utilisera plus d'énergie qu'il n'en produira.
ITER appartient à la catégorie des générateurs "Tokamak". Autrement dit, il s'agit d'un tore dans lequel le plasma est confiné par des champs magnétiques très puissants.
ITER n'est pas le seul projet d’envergure. L’Allemagne a ainsi "coiffé au poteau" ITER en inaugurant, en décembre 2015, le Wendelstein 7-X. Ce réacteur n'est pas un Tokamak mais un Stellarator. De manière très superficielle, on peut dire que le Stellarator est une technologie qui cherche, comme le Tokamak, à confiner le plasma dans un espace toroïdal, mais sa structure est différente. Le Stellarator est beaucoup plus difficile à construire qu'un Tokamak, en revanche, il est plus fiable. Si le Tokamak a été imaginé par les Soviétiques dans les années 50 (le célèbre Andrei Sakharov à contribué à sa conception), l'architecture du Stellarator a été conçue vers la même période, mais aux Etats-Unis.
Comme le futur ITER, le Wendelstein 7-X est avant tout une expérience scientifique. Il n'a pas pour but de produire de l’électricité.
La Chine, partie prenante dans ITER, produit aussi son propre tokamak. En février 2016, elle a annoncé que ce réacteur, le Experimental Advanced Superconducting Tokamak (EAST), avait réussi à maintenir pendant 102 secondes le plasma à une température équivalent à trois fois celle située au centre du soleil, soit 49.99 millions de degrés. C'est moins chaud que le résultat obtenu en Allemagne (100 millions de degrés) mais cela a duré plus longtemps.
Là encore, il s'agit d’une pure expérience, il n'est pas question de produire de l’électricité avec EAST.
Des alternatives plus accessibles ?
Autant de travaux intéressants, mais qui nous permettent de situer l'avènement de la fusion dans un temps assez lointain : peut-être un siècle - si jamais cela marche.
Mais peut-être existe-t-il des alternatives ? En 2014, la célèbre société Lockheed Martin s'est offert un beau coup de publicité en affirmant avoir trouvé un nouveau moyen de créer des champs magnétiques susceptible de mieux confiner le plasma, offrant ainsi la possibilité de créer un réacteur de fusion qui pourrait tenir dans un camion. L'annonce a suscité beaucoup de scepticisme dans la communauté scientifique. Ian Hutchinson, professeur de science et d’ingénierie nucléaire au MIT, a eu la dent particulièrement dure. Après avoir dit qu'il n’était guère possible de se prononcer sur la base des quelques diagrammes, commentaires et images qu'on peut trouver sur le site de la compagnie, il a noté que le type de confinement utilisé par ce projet a déjà été étudié, sans donner de résultats probants. Pour Hutchinson, "cette conception est purement spéculative, comme si quelqu'un avait fait un dessin et annoncé pouvoir se rendre sur Mars grâce à lui".
Mais de nombreux autres projets voient le jour ces temps-ci.
L'un d'entre eux (un système purement théorique pour l'instant) a été conçu au MIT et porte le nom d'ARC (pour Affordable, Robust, Compact). La nouveauté de l'ARC consisterait en l'utilisation d'un nouveau matériau pour les aimants superconducteurs confinant le plasma, de l'oxyde de baryum de cuivre, autorisant une augmentation du champ magnétique à la puissance 4. Cela permettrait notamment de concevoir des réacteurs bien plus petits - et cela permettrait d'avoir des réacteurs commerciaux d'ici quelques dizaines d'années. Reste à son concepteur, Dennis Whyte, à trouver les fonds pour sa construction.
Un autre projet prometteur est celui étudié par l'université de Washington, sous la direction de Tom Jarboe. Il s'agit du dynomak, dérivé d'une architecture, le spheromak, elle-même issue du tokamak. L’intérêt du dynomak, ce serait que le courant électromagnétique chargé de maintenir en place le plasma circulerait à l’intérieur de celui-ci, et ne serait pas situé à l’extérieur. Ce qui permettrait, là encore, de concevoir un système plus petit et à coût moindre. Selon IEEE Spectrum, la construction ne demanderait que 4 petits milliards de dollars - une somme bien inférieure au coût prohibitif d'ITER. Et une centrale dynomak capable de délivrer un gigawatt serait légèrement moins onéreuse qu'une centrale à charbon délivrant la même puissance, 2,7 milliards de dollars au lieu de 2,8, précise le magazine.
Reste la question très controversée de la fusion froide. Il s'agit de l'hypothèse selon laquelle des mécanismes de fusion pourraient se produire à température ambiante, ce qui évidemment résoudrait tous les problèmes ! Précisons-le tout de suite : dans sa très grande majorité, la communauté scientifique considère que la fusion froide n'appartient pas au domaine de la science, et les expériences multiples effectuées dans ce domaine n'ont pas été validées par les pairs. L'encadré du New Scientist à ce sujet se nomme d'ailleurs "ne parlez pas de la fusion froide", un titre assez ironique, puisque le magazine en parle, justement !
De fait un petit groupe continue de faire de la résistance.
Aujourd'hui renommée LENR(Low Energy Nuclear Reactions), le concept continue à attirer certains chercheurs. En Italie, Andrea Rossi prétend avoir mis au point un réacteur fonctionnant à température ambiante à base de poudre de nickel et d'hydrogène. Il affirme que son modèle "E-Cat" serait actuellement en phase de test chez un "client secret" aux USA. Évidemment le secret n'aide pas à convaincre les sceptiques. De son côté le russe Alexander Parkhomov affirme avoir pu reproduire les effets revendiqués par Andrea Rossi et avoir obtenu une source de chaleur d’origine inconnue. Enfin, nous précise encore le New Scientist, des industriels continuent à s’intéresser à cette théorie, Airbus ayant même tenu une conférence sur le sujet à Toulouse en octobre.