Le monde numérique bouleverse notre mode de vie et notre relation à la connaissance.
Cela n’est pas sans dangers, mais nous avons les moyens de nous adapter et nous sommes en train de le faire.
Pessimistes
L’internet ferait de nous des ignorants, distraits en permanence, asociaux et narcissiques. C’est en gros ce que laissent entendre une longue liste de livres et d’études sur les nouveaux comportements individuels et sociaux liés aux technologies de l’information.
Optimistes
Dans l’autre camp, de nombreux auteurs nous ont promis un monde meilleur -plus de démocratie, plus de liberté, plus de savoir, plus de productivité, plus de temps libre, plus de créativité- grâce à l’internet et aux réseaux.
Comme souvent, la réalité est plus nuancée
C’est ce qu’explique Clive Thompson, journaliste pour Wired et le New York Times Magazine. Il explique dans son livre «Smarter Than You Think: How Technology is changing our minds for the Better» (Plus intelligent que vous pensez: Comment la technologie améliore nos esprits), que la révolution numérique bouleverse notre mode de vie, qu’elle a des effets bénéfiques et néfastes, mais que nous avons les moyens de nous adapter et nous sommes en train de le faire.
Un débat qui existait il y a 2000 ans
Ce que montre d’abord Clive Thomson, c’est que les débats autour des dangers et des bienfaits des nouvelles technologies et l’accès à l’information pour le plus grand nombre existaient déjà… il y a 2000 ans!
Il revient sur un classique, Phèdre, le dialogue de Platon qui met notamment en scène Socrate. Ce dernier met en garde contre les dangers de l’écriture. Socrate raconte l’histoire du Dieu Teuth qui affirme que son invention de l’écriture augmentera la sagesse des masses en leur permettant d’apprendre bien plus efficacement que par la seule tradition orale. En réponse, le roi Thamus met en garde contre le fait que «l’inventeur d’un art n’est pas le meilleur juge du bien ou du mal que va apporter sa pratique» et ajoute qu’il craint que le peuple «reçoive une quantité d’informations sans une bonne instruction et soit considéré en conséquence comme possédant le savoir alors qu’il reste en grande partie ignorant».
Pour Clive Thompson, «avec chaque innovation, les prophètes se déchirent pour savoir si l’avenir réserve un apocalypse technologique ou un monde meilleur». Les pessimistes et les optimistes sont au moins d’accord sur une chose : la nouvelle technologie crée de nouveaux comportements et nous éloigne d’anciens comportements plus familiers et maîtrisés. Les uns et les autres ne sont tout simplement pas d’accord sur leurs implications positives ou négatives pour la société.
Ainsi, la plupart des critiques sur les technologies numériques se retrouvent dans le livre écrit il y a plus de 20 ans déjà, en 1992 par Neil Postman et intitulé «Technopoly». Il affirme que «l’information est devenue une forme de déchet… non seulement incapable de répondre aux questions humaines fondamentales mais à peine utile pour donner une direction cohérente vers la solution des problèmes les plus simples». La soumission de toutes les formes de vie culturelle à la technique et la technologie va détruire «les sources vitales de notre humanité» et conduire à «une culture sans fondations morales».
Capacité d’adaptation humaine
Clive Thompson n’est pas d’accord. Il met en avant ce que Socrate n’avait pas anticipé tout comme les pessimistes d’aujourd’hui, la capacité d’adaptation humaine. Peut-être que l’homme a perdu avec l’écriture la capacité à mémoriser de longues histoires, mais il a gagné la capacité de lire et de réfléchir et raisonner à partir de longs textes. Notre cerveau s’adapte et continue à le faire aujourd’hui à notre nouvel environnement.
Il reconnaît que «passer en permanence d’une activité à une autre est désastreux pour notre attention et notre concentration». Il recommande de faire de temps à autre une pause est de nous passer de nos outils technologiques. «L’un des plus importants défis consiste à savoir quand utiliser ou pas les outils numériques et quand utiliser les vieilles technologies plus lentes comme le papier et les livres» .
Il souligne aussi que les peurs des pessimistes sont construites sur des mythes. Nous n’étions pas collectivement mieux informés, et plus capables de raisonner dans le passé. Avant que les outils numériques donnent au plus grand nombre la possibilité de s’exprimer, il était très difficile de mesurer les centres d’intérêts de la population qui étaient en grande partie téléguidés par une élite.
«Il était plus facile de prétendre que ses obsessions n’existaient pas et que la nation était unie autour de son intérêt pour les mêmes films, les mêmes magazines, les mêmes personnalités et les mêmes questions politiques». L’internet a balayé cette illusion et c’est difficile à admettre pour les tenants de la connaissance pré-numérique. Reste à savoir, si le numérique révèle ces goûts «vulgaires» ou les encourage.
Georges Vignaux